Des ordonnances littéraires destinées à des patients choisis en toute liberté et qui n’ont en commun que le fait de n’avoir rien demandé.
« La situation paraît compromise : pour accéder à l’essentiel, nous faudrait-il tomber si bas, creuser nos faiblesses, quitter tous nos oripeaux ? Ce serait oublier la hauteur paradoxale qui se cache dans une telle chute. Entre la honte et la gloire, les signes s’échangent »
Non, l’encore-candidat Fillon, n’est pas l’auteur de cette élégante tirade.
Il s’agit là de l’ouverture de l’un des chapitres d’un ouvrage qui vient de sortir en poche, La honte. Réflexions sur la littérature, de Jean-Pierre Martin (Gallimard, Folio, essais). L’auteur y analyse la honte comme l’un des grands ressorts de la littérature. A l’heure où les Américains se jettent sur 1984 de Georges Orwell pour essayer de cerner au mieux les agissements de leur président et ses fameux « faits alternatifs » ; à l’heure où en France la saga Fillon compte plus de rebondissements et de révélations dantesques que la plus audacieuse des séries américaines ; à l’heure, donc, où la réalité semble avoir clairement dépassé la fiction, il est plus que jamais nécessaire de chercher dans la littérature ce que la réalité veut dire.
Et puis, dans La Honte, on lit : « Depuis que j’ai commencé à écrire ce livre, j’ai contracté une manie que j’espère transitoire : celle de recueillir les hontes du monde à la façon dont on collecte des témoignages ethnographiques. À l’affût des pudeurs d’autrui, ayant acquis dans ce domaine une certaine compétence, je crois pouvoir repérer à dix mètres le honteux refoulé, le bouffon cache-misère, l’imposteur empêtré, l’être social perclus de secrets enfouis ».
Quoi ???? Et personne n’a encore soumis l’encore-candidat Fillon à l’expert Jean-Pierre Martin ???? La chose m’a peut-être échappée, mais il semblerait que, pour une fois qu’un expert se révèle être véritablement un expert, tous les média ont décidé, unanimement, de s’en passer.
Alors quoi ? Que faire ? Prescrire l’ouvrage de Jean-Pierre Martin à François Fillon ? Après en avoir débattu, le service de médecine littéraire s’est avéré n’être pas favorable à cette solution, à moins qu’un internement du patient puisse permettre de contrôler et vérifier véritablement la lecture effectuée. Sans quoi, ledit patient étant capable, semble-t-il, de dissimulation, il pourrait bel et bien prétendre, le sourcil haut, avoir adopté le traitement sans même avoir ouvert une seule fois l’ouvrage prescrit. Les spécialistes du service, tournant et retournant le cas en tous sens, ont fini par imaginer un traitement alternatif : ce sera l’épouse du candidat, à savoir la désormais fameuse Penelope, qui sera chargée de lire l’ouvrage et de rédiger une brève note de lecture que nous nous engageons à faire absorber au candidat préalablement immobilisé pour une durée très limitée (Penelope Fillon, alias Pauline Camille, ne rédige que de très courtes chroniques). La note, précisons-le, ne pourra faire l’objet d’aucune rémunération, les services médicaux n’ayant pas pour usage de payer les patients en traitement ni même leurs proches parents.
Sans vouloir le moins du monde influencer la chroniqueuse, nous l’engageons à se centrer sur le dernier chapitre de l’ouvrage, joliment intitulé : « Toute honte bue, ou dix moyens de traiter les rougeurs ». « S’engouffrant dans le labyrinthe des hontes – y lit-on –, la littérature ne manque pas […] de nous proposer des issues. Elle invente (pour l’écrivain comme pour ses personnages) de multiples solutions ». Plus loin : « On savait que la littérature pouvait être consolation, hygiène sociale. Elle est aussi technique d’éhontement, traitement des rougeurs, pharmacopée » (nous tenons à remercier l’auteur pour l’hommage ici évident rendu à notre service de médecine littéraire). Suivent une liste de solutions, toutes détaillée : « la solution libertine et cynique », « la solution théâtrale bouffonne », « La solution transformiste, soit : se faire voir autrement, se travestir ou se métamorphoser », « La solution mensongère ou l’imposture », pour n’en citer que quelques-unes. Certes, monsieur Fillon a déjà largement tâté de certaines d’entre elles, mais avec un tel amateurisme, avec une telle maladresse, avec une telle impréparation que l’on ne peut qu’espérer que la lecture de la note de sa chère et tendre épouse (« Je la défendrai, je l’aime ») lui permettra d’améliorer quelque peu son jeu de scène, sans quoi les spectateurs, lassés et peu convaincus, zapperont impitoyablement : d’autres séries passionnantes sont disponibles, aucune raison de continuer à s’accrocher quand l’une d’entre elles devient franchement médiocre et peu crédible. D’autres acteurs peuvent aussi reprendre son rôle, la chose a déjà été évoquée, malgré le soi-disant contrat en béton qui rendrait son limogeage par la production impossible.
On a en déjà viré de plus coriaces.
Nathalie Peyrebonne
Ordonnances littéraires
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