La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

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I-Feel-Like-I’m-Fixin’-To-Die Rag
| 31 Mar 2019

Signes précurseurs de la fin du monde : chaque semaine, l’Apocalypse en cinquante leçons et chansons. Ou peut-être moins si elle survenait plus tôt que prévu.

Le 28 mars, nous étions dans le bureau d’Emmanuel Macron à l’Elysée, interviewant le Président sur ses ambitions pour la francophonie, lorsque, soudain, Édouard Philippe est entré, le visage blême, et, sans même nous saluer, il a tendu un document au chef de l’État. Emmanuel Macron s’en est saisi aussitôt, l’a parcouru rapidement, a blêmi à son tour et nous a priés de quitter les lieux, reportant le rendez-vous sine die. Nous n’avons pu récupérer notre magnétophone qu’une demi-heure plus tard après l’avoir réclamé à un huissier. Il avait été laissé sur le bureau en mode enregistrement. C’est ainsi que nous pouvons proposer ci-dessous un extrait de la conversation qu’ont eue le Président et le Premier ministre.

– Édouard, je ne comprends pas. Pourquoi on ne nous a jamais prévenus avant ? C’était prévu depuis quand ?
– Je ne sais pas. Soit ils avaient fait une erreur de calcul, soit cette chose a récemment dévié de sa trajectoire. Ou alors l’information avait été tenue secrète pour des raisons que j’ignore.
– Et la collision est certaine ?
– La probabilité est de 99,97%, donc oui.
– Et les conséquences vont être aussi catastrophiques qu’ils le disent ?
– D’après les spécialistes que mon cabinet vient de consulter, ça pourrait être pire encore. Cela dit, on n’a pas beaucoup de recul : une collision avec un objet de cette taille, cela ne se produit qu’une fois tous les 100 millions d’années. En moyenne.
– Mais qu’est-ce qu’il peut y avoir de pire qu’une extinction de masse ?
– Non, Emmanuel, je veux dire qu’ils pensent que la vie sur terre pourrait s’éteindre plus vite que le rapport américain ne le dit. Ce ne serait pas une question de mois, mais de semaines.
– Et il n’y a plus rien à faire ?
– C’est trop tard pour envoyer des missiles, apparemment. De toute façon, rien n’est prêt ni côté américain ni côté russe. Et je ne te parle pas de l’Europe.
– Et dans des abris, on pourrait survivre ?
– Dans les annexes, ils disent que rien ne résistera au séisme monstrueux qui va se produire ni aux tsunamis qui s’en suivront. Des tsunamis, il y en aura comme s’il en pleuvait. Sans parler de l’atmosphère irrespirable.
– Donc le 4 juin, c’est la fin du monde ?
– On peut dire ça comme ça.
– Bon…

Long silence.

– Au niveau des Nations Unies, il y a des choses prévues pour ce genre de cas ? Qui annonce la nouvelle ? Quand ?
– Non, il n’y a rien de bien précis, Emmanuel. La seule recommandation, c’est que l’annonce soit faite dans tous les pays de manière coordonnée, et le plus tard possible pour éviter une panique prématurée.

Nouveau silence.

– Et le moment venu, Édouard, on fait comment, on dit quoi ?
– Je ne sais pas.

Blanc de trente secondes, entrecoupé de soupirs.

– Je ne sais pas moi, Emmanuel. Comment tu vas l’annoncer à Brigitte par exemple ?
– À Brigitte ? Pour qu’elle le raconte à toutes ses copines ?
– On s’en fout, on va tous crever de toute façon ! Tu te rends compte, Emmanuel, on va tous crever !
– Calme-toi, Édouard. Le pire n’est pas toujours sûr.
– 99,97%, merde ! Tu as fait des stats à l’ENA ?
– Bon, admettons. Il faudrait préparer un texte.
– Je te le dicte si tu veux : « Mes amis, on va tous crever. Adieu ! »
– Non, je suis sérieux.
– Je ne vois pas ce qu’on peut rajouter derrière adieu.
– Ce sera un moment solennel, il faudra y mettre les formes tout de même.
– Bon, si tu veux. Alors je te propose ça : « Le 4 juin, un énorme astéroïde va entrer en collision avec la Terre. Il est peu probable qu’un seul être humain en réchappe. Je suis venu vous dire adieu, mes chers compatriotes. Je vous souhaite bonne chance à tous. »
– C’est pas mal, ça.
– Cela dit, Emmanuel, il est à peu près sûr que l’information aura fuité avant, il y a au moins 400 personnes qui sont déjà au courant sur cette planète.
– Alors je peux en parler à Brigitte, non ?
– Si tu veux, après tout. Tu n’auras qu’à lui dire que les vacances au Touquet cet été, c’est cuit de chez cuit. Et puis merde !
– Garde ton sang froid, Édouard.

Nouveau silence interminable.

– Tu sais quoi, Édouard ? Je pense qu’on devrait faire l’annonce tout de suite. Au moins ça nous épargnerait d’avoir à faire la synthèse de ce grand débat à la con.
– Là, c’est toi qui n’est pas sérieux. Ça va être la panique si on le dit dès maintenant. Essayons au moins de faire l’économie de deux mois de bordel absolu.
– Tu as raison. Oublions.
– Il y a un truc à boire dans ton bureau, Emmanuel ?
– J’ai cet alcool chinois que m’a apporté Xi Jinping. Il paraît que c’est du brutal. Ça devrait faire l’affaire, non ?
– Vas-y, envoie.

On entend un tiroir qui s’ouvre, quelques glouglous, des verres qui s’entrechoquent, puis, quelques minutes plus tard, les voix d’Emmanuel Macron et d’Édouard Philippe qui chantonnent en choeur du Country Joe McDonald :

And it’s one, two, three, what are we fighting for ?
Don’t ask me, I don’t give a damn, next stop is Viet-Nam
And it’s five, six, seven, open up the pearly gates
Ain’t no time to wonder why, whoopee we’re all gonna die

 

 

 

Édouard Launet
Signes précurseurs de la fin du monde

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