Il ne se passe pas une heure dans ce pays sans qu’un policier ou un gendarme se fasse traiter d’enculé ou de con par un récalcitrant aux contrôles d’attestation de sortie, sans qu’une infirmière s’entende qualifiée de pute ou de salope par un énervé aux urgences, sans qu’un conjoint ou (plus rarement) une conjointe balance une connasse ou un connard à son partenaire. La pandémie actuelle met ainsi en lumière non seulement notre état d’impréparation au déferlement du méchant virus, mais également la pauvreté consternante de notre répertoire d’injures usuelles. C’est l’un des dossiers auquel il faudra réfléchir au moment du bilan, bien que celui-là soit d’une urgence soit toute relative.
Aux excités de tous poils qui aggravent la crise sanitaire par une litanie ordurière et répétitive, nous pourrions suggérer les termes de gourdiflot, buse et autre crétin des Alpes, ce qui mettrait un peu de diversité dans la vie des confinés et des confineurs. Hélas l’usage de termes anciens ou inusités tend à diminuer la gratification que l’insulteur éprouve à insulter. Sur l’échelle de l’injure, con, pute et enculé restent en effet des valeurs sûres, éprouvées, au rendement maximal, pour ainsi dire indépassables — ajoutons nazi et pauvre merde pour faire bonne mesure.
Mais réfléchissons un peu. Comme une insulte revient généralement en boomerang vers celui qui la profère, car un homme qui en traite un autre de connard est souvent un connard lui-même, en tout cas quelqu’un qui ne maîtrise plus ses nerfs, il est prudent de tourner au moins une demi-fois la langue dans sa bouche (sept est un objectif trop ambitieux en la circonstance) afin de choisir un terme qu’on ne s’offusquerait pas d’entendre lancer contre soi. Mieux : il est conseillé d’y réfléchir avant de péter les plombs et même de noter sur un carnet quelques mots alternatifs, printaniers si possible, qui pourraient être utiles en cas de besoin.
Au fait, gourdiflot est, selon le Centre national de ressources textuelles et lexicales, un substantif masculin qui désigne une personne sotte et stupide. C’est moins rude que gourdasse, mot de même origine (la gourde est un fruit rond, parfois oblong, de la famille des Cucurbitacées qui aurait du mal à incarner le génie). Proust lui-même s’est autorisé à le glisser dans Sodome et Gomorrhe.
« Je suis commandé pour Mlle Simonet. Je ne peux pas conduire Monsieur. Aimé s’esclaffa : Mais voyons, grand gourdiflot, répondit-il au mécanicien, c’est justement Mademoiselle Simonet, et Monsieur, qui te commande de lever ta capote, est justement ton patron ».
Le mot gourdiflotte n’existe qu’à l’état de néologisme. Ce n’est pas une raison pour l’écarter, dans la mesure où nous vivons des temps vraiment exceptionnels.
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