Insultologie Appliquée. La Terre se réchauffe, les esprits s’échauffent, les chefs d’État s’injurient : l’insulte est l’avenir d’un monde en décomposition. Chaque semaine, la preuve par l’exemple.
« Ferme ta gueule ! », ou « Ta gueule ! » tout court, est une injonction qui est rarement suivie d’effet, ou qui produit l’effet inverse à celui qui est recherché : l’autre se met à gueuler plus fort. Il est vrai qu’il a désormais des raisons de le faire puisque nul n’apprécie de s’entendre sommé de se taire, qui plus est en des termes aussi peu courtois. On peut dès lors s’étonner que cette injonction vaine et inefficace soit si utilisée. En réalité, on ne s’en étonne pas vraiment dans la mesure où « Ferme ta gueule » n’est pas une requête mais le plus souvent l’expression d’un profond mépris.
Il arrive aussi que ce soit un symptôme d’un problème plus sérieux.
Prenons un exemple récent. Le 13 novembre dernier, le général Jean-Louis Georgelin, représentant spécial du président Macron sur le chantier de reconstruction de Notre-Dame de Paris et futur responsable de l’établissement public appelé à le gérer, est interrogé par la commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale. Sujet : la future flèche de la cathédrale. Assemblée de poètes ? Débat d’esthètes ? Non, combat de rue. Car soudain Georgelin s’en prend en termes vifs à Philippe Villeneuve, l’architecte en chef des monuments historiques chargé de la reconstruction de l’édifice. Ce dernier ne cesse de plaider pour une reconstruction à l’identique, alors que Macron et Georgelin veulent quelque chose de plus contemporain. Georgelin sur Villeneuve, donc : « Je le lui ai déjà expliqué plusieurs fois et je le lui redirai : qu’il ferme sa gueule et nous avancerons en sagesse pour que nous puissions sereinement faire le meilleur choix pour Notre-Dame, pour Paris et pour le monde ».
Ce « Qu’il ferme sa gueule » a fait couler beaucoup d’encre tant il était inattendu. La suite de la phrase a été moins commentée, pourtant elle était tout aussi intéressante. Car parler de sagesse et de sérénité juste après avoir balancé une insulte n’était pas seulement idiot, c’était un signe de déséquilibre. Que le général parle dans le même élan de « meilleur choix pour le monde » permet d’affiner le diagnostic : cet homme semble souffrir d’un brin de paranoïa. Il est heureux que Georgelin, qui fut naguère chef d’État-Major des armées, n’ait pas sous la main la mallette du feu nucléaire – ni d’ailleurs un Famas chargé, car alors on ne donnerait pas cher de la peau de l’architecte.
Sale traître !
Pour l’heure, c’est la peau de Georgelin qui semble menacée. Emmanuel Macron a demandé à son émissaire de se calmer, à tout le moins de se taire.
Le général, qui se trouve être oblat (sorte de moine laïc) chez les bénédictins, va-t-il être condamné à faire un long séjour dans quelque monastère ? Il y retrouverait peut-être le député apparenté RN Gilbert Collard et l’ex-eurodéputé des Verts Daniel Cohn-Bendit qui ont eux aussi besoin d’un peu de calme. Le printemps dernier, lors d’un débat qui opposait les deux hommes sur TF1, Collard avait rangé Cohn-Bendit parmi « les vieilles guenilles, les faux culs de la politique, ceux qui ont dit que l’élection était un piège à cons ! ». Et de conclure : « Sale traître ! ». Ce à quoi Cohn-Bendit avait répondu : « Tu es une ordure, ferme ta gueule connard ! » Bien sûr, l’autre ne l’avait pas fermé et le « débat » s’était achevé dans la plus grande confusion.
Il reste un peu de place chez les bénédictins ?
Les jeunes générations ont beaucoup à apprendre des vieux routiers de la politique, d’ailleurs elles apprennent vite. Cet été à Bordeaux, lors des assises nationales du mouvement Youth for Climate France, quelques dizaines d’adolescents avaient barré l’accès à un McDo pour dénoncer ce « symbole de la surconsommation, du gaspillage et de l’élevage intensif ». Derrière une banderole floquée « Pourquoi manger maintenant ce qui nous tuera demain ? », les manifestants avaient crié « Pollue, consomme, et ferme ta gueule. C’est quoi le message qu’on donne aux jeunes ? » Eh bien, c’est très exactement cela, et maintenant fermez vos gueules.
Ce mois-ci, alors que les gilets jaunes tentaient de réveiller le mouvement, quelques-uns d’entre eux choisissaient d’aller occuper les Galeries Lafayette à Paris. Et qu’ont-ils scandé ? « Travaille, consomme et ferme ta gueule ! » Ils ont été rapidement évacués.
Travailler, débattre, reconstruire Notre-Dame, polluer, consommer, déféquer sont de pénibles activités auxquelles il est difficile de se soustraire. Fermer sa gueule est en revanche assez facile à faire. Pour autant qu’on ne nous le demande pas.
En politique l’insulte n’est pas précisément une nouveauté. Ce qui est neuf, c’est son usage croissant (pour ne pas dire sa banalisation) jusqu’au sommet de l’État. Révolue est l’époque où les grands de ce monde avaient la vacherie drôle et feutrée.
C'est l'année des fils de pute (et elle est loin d'être terminée). L’an prochain sera-t-il celui des salopes et des enculés ? On peut en douter car les fils de pute ont la peau dure, si bien qu’ils pourraient bien squatter la planète jusqu’au grand effondrement.
Je t’encule, tu m’encules, nous nous enculons en rond, au point que cela en devient vertigineux. Hier nous avions Racine et Corneille, aujourd’hui nous avons des enculés, des trous du cul et si peu d’alexandrins. Il faut dire que le débat politique est vif.
Tout a basculé le 23 février 2008. Ce jour-là, un président de la République en exercice — par ailleurs chef des armées, co-prince d'Andorre et chanoine d'honneur de la basilique Saint-Jean-de-Latran — gratifiait un de ses concitoyens d’un "Casse-toi, pauv' con !".
Voilà une injonction que l’on adresse rarement à son patron, sauf à avoir sa lettre de licenciement en main. À éviter aussi entre conjoints s'il reste un peu d'amour dans le foyer. Mais à lancer sans trop d’appréhension à la face des dirigeants politiques.
De nos jours, les salopes volent en formation serrée. En juin dernier, l’Académie française, à laquelle nulle dérive langagière ne saurait échapper, a même tenu à rappeler l'étymologie du terme, que l'on ne saurait résumer au féminin de salaud...
Il y a un demi-siècle, les Rolling Stones faisaient scandale aux États-Unis. Aujourd’hui c’est Mick Jagger qui s’indigne des nouvelles mœurs américaines et britanniques. La provocation aurait-elle changé de camp ?
Elle est jeune, c’est une femme, elle nous culpabilise, elle ne veut pas se taire. C’est le prototype même de la chieuse. Greta Thunberg fait chier un nombre considérable de gens. Et en plus, elle a de l'humour.
Par les temps qui courent, on se balance tant de noms d’oiseaux sur Internet et dans les assemblées parlementaires qu’il vaut mieux savoir à quoi l’on a affaire. Ça tombe bien : les insultes et injures font l’objet d’un nombre croissant de travaux de recherche.
Fin octobre, plusieurs habitants de l'Orne et de la Sarthe ont reçu chez eux une boîte contenant des excréments. Elle était accompagnée d’une lettre se terminant par cette formule de politesse : “Je vous emmerde cordialement”...
Les amabilités entre chefs d’État se poursuivent et, il y a quelques jours, c’était au tour du président turc Recep Tayyip Erdogan d’ouvrir le feu, en déclarant que son homologue français Emmanuel Macron était en état de mort cérébrale. Ce dernier n'a pas du tout apprécié...
Il arrive, lors d’un match de foot ou de rugby, que l’arbitre soit invité par une partie du public à se rendre aux toilettes. Cela signifie généralement qu'une de ses décisions est contestée, mais cela ne dit pas ce que l’intéressé est censé faire aux chiottes.
Le populisme se porte de mieux en mieux, le climat se dégrade, les relations sociales se durcissent, la jeunesse désespère ou s’en fout, tandis que les mots se font de plus en plus violents. Pourquoi se priver ?
L’affaire Matzneff a réveillé un volcan que l’on croyait éteint : les querelles littéraires. Ces dernières ont ceci de particulier qu’on commence par y parler livres avec moult circonlocutions et l’on finit par se jeter la Shoah à la figure.
Entre les États-Unis et l’Iran, les insultes volaient bien avant les drones et les missiles. L’échange de mots doux remonte à la crise de 1979. Les États-Unis "Grand Satan", comme disait alors l'ayatollah Khomeiny. L’arrivée au pouvoir de Donald Trump n’a rien arrangé à l’affaire.
Le tennis est une activité idiote pratiquée par des gens en short dont l’unique but est de se débarrasser d’une balle en feutre jaune en tapant dessus comme des sourds, quoi qu’il se passe autour. Parfois, cela peut durer des heures. Et en agacer plus d'un.
La flagornerie est parfois pire que l’insulte. Cela peut même tourner à l’assassinat, comme la journaliste Anna Cabana en a fait une convaincante démonstration il y a quelques jours sur BFM-TV, dans une séquence qui n’a pas fini de réjouir Internet.
Les températures battent record sur record, un nouveau virus menace la planète, le populisme trumpien prospère, l’Europe part en morceaux, mais depuis quelques jours tout le monde s’en branle : il n’y en a plus que pour l’affaire Griveaux.
En France, le réseau Twitter est devenu la première arène politique, loin devant les chambres parlementaires. Des textes de quelques dizaines de signes et des vidéos de quelques dizaines de secondes orientent les débats, font et défont les carrières.
Le débat politique, aux États-Unis comme dans un nombre croissant de pays, s’est mué en un métaphorique numéro de cirque opposant clowns maléfiques et incompétents sans convictions. Le spectacle pourrait être divertissant sauf que ce n’est plus un spectacle.
La planète fait donc face à deux épidémies : celle du virus et celle de la peur. La seconde tue rarement mais fait plus de victimes que la première. On s’en défend comme on peut. Par l’humour éventuellement, mais cela donne pour l’instant des résultats désastreux...
Les insultes traversent moins facilement les océans que les virus. Prenez Joe Biden, bien parti pour être le candidat démocrate aux prochaines présidentielles américaines, qui semble puiser ses insultes dans le cinéma du milieu du siècle dernier.
Le rap est certainement le champ artistique le plus réactif à l’actualité. Si ses mélodies sont rarement surprenantes, ses textes ont un caractère printanier qui sied à la saison et aux circonstances. En témoignent ces quelques sorties récentes...
Il ne se passe pas une heure sans qu’un policier se fasse traiter d'enculé ou de con, et une infirmière de pute ou de salope par un énervé aux urgences. La pandémie met en lumière la pauvreté consternante de notre répertoire d’injures.
La visite d’Emmanuel Macron chez le professeur Didier Raoult, jeudi dernier à Marseille, s’est extrêmement mal passée. Un témoin a saisi ce bref échange entre les deux hommes à l’arrivée du convoi présidentiel. Le chef de l'État semblait passablement énervé.
Le chemin qui va du coronavirus à la Shoah est étroit, tortueux et improbable. Pourtant, la pandémie a vite atteint le point Godwin, ce moment où, dans tout débat, les adversaires finissent par s'injurier en se jetant à la figure des allusions à l'Allemagne nazie.
Il y a au moins un événement culturel dont la pandémie n’a pas eu la peau : la Journée Mondiale du Pangolin. Elle se tient chaque année le troisième samedi de février. En 2020, sa neuvième édition est tout juste passée entre les gouttes.
Rien ne va plus entre le Président et son Premier ministre. Les nerfs sont à vifs, les enjeux énormes, les responsabilités écrasantes. À preuve, ce violent échange qui a eu lieu la semaine dernière dans le Jardin d’hiver de l’Élysée.
Fini le petit confort et le grand inconfort du confinement. Retour au monde d’avant, en pire bien entendu. Une sidération durable s’annonce : celle qui va frapper quand nous aurons le nez dans la facture économique et sociale.