Trois occasions récentes nous permettent d’interroger ce que l’on appelle “Œuvres de jeunesse”, expression qui n’est intéressante, bien sûr, que si les œuvres suivantes ont conquis notre intérêt. C’est le cas ici.
Romeo Castellucci a choisi de reprendre à l’identique, vingt ans après, sa mise en scène de Orestie (une comédie organique ?). Théâtre de visions, à l’évidence, et théâtre qui forcément divise les spectateurs, car l’homme de théâtre italien nous plonge dans un inconfort de tous les instants. Même si l’esthétique utilisée par Castellucci n’est pas mon genre de beauté, je constate sa force, mais aussi sa pertinence, car ce qui est assez fascinant avec lui, c’est que tout est légitimé par une pensée, une lecture de l’œuvre. Rien de gratuit, ici, pas d’effet pour l’effet, mais toujours un sens, au moins, voire plusieurs. Mais si le spectacle m’a touché, c’est parce que j’ai vu quantité de mises en scène de Castellucci, depuis une douzaine d’années, une quinzaine de spectacles, je crois, et que ce retour en arrière, à l’identique de sa création, me permet aussi de mesurer le chemin parcouru par l’artiste. Il y a donc l’intérêt propre du spectacle, et l’intérêt historique dans le parcours du créateur.
La sortie pour la première fois en salles du premier long-métrage d’Apichatpong Weerasethakul, Mysterious object at noon, produit le même type d’intérêt. Le cinéaste a sillonné la campagne thaïlandaise à la fin des années 90, et se souvient qu’il était en appétit d’enregistrer des images et de découvrir le fonctionnement organique du cinéma. Pour ce faire, il s’inspire des surréalistes et du procédé du cadavre exquis, faisant raconter une histoire par les différentes personnes qu’il rencontre, pour former un grand récit en effet surréaliste. Très friand du cinéma du Thaïlandais, j’étais impatient de découvrir son premier long-métrage, trop peut-être, et je dois dire que je suis resté un peu sur ma faim, même si là encore, il m’a semblé précieux, d’un point de vue cinéphilique, de voir comment s’est constitué peu à peu le cinéma d’Apichatpong Weerasethakul. On trouve en effet dès ce film inaugural non seulement les différents lieux qui seront ceux de ses films à venir, mais aussi ses préoccupations politiques, philosophiques et prosaïques. Filmer des corps, raconter des histoires, Weerasethakul le fait déjà ici très bien, et fait dès ses débuts exploser la frontière entre fiction et documentaire. Et même si ce film n’a pas la force de ceux qui suivront, il n’en demeure pas moins que certaines séquences sont très belles, d’autres très drôles, certaines terriblement émouvantes.
Enfin, troisième cas dans l’actualité, la sortie en coffret chez ARTE et Lobster de l’Intégrale des courts métrages de Buster Keaton, entre 1917 et 1923. Le cas est encore plus précieux, car on assiste au fil des années à l’ “invention” de Buster Keaton, d’abord second rôle dans des productions très commerciales, puis passant au premier plan, grâce à cette présence flegmatique inimitable, alors même que le monde autour de lui semble en perpétuel vacillement. Le sens du timing, le goût de l’absurde, les cascades défiant les lois de la physique (et du courage), tout est déjà en place avant que le grand Keaton ne s’attelle à ses premiers longs.
Oui, les œuvres de jeunesse sont toujours passionnantes, du moment qu’elles émanent d’un génie en devenir !
Arnaud Laporte
À lire également dans délibéré : “Orestea, vingt ans après”, par René Solis.
Les calendrier des prochaines représentations d’Orestie est disponible sur le site de la Socìetas Raffaella Sanzio. Prochaines dates en France : du 3 au 5 février à La Rose de Vents de Villeneuve D’Asq, du 20 au 22 avril au Maillon de Strasbourg, les 26 et 27 avril au Tandem – Théâtre d’Arras / Hippodrome de Douai, du 25 au 28 mai au Théâtre National de Toulouse.
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