Signes précurseurs de la fin du monde : chaque semaine, l’Apocalypse en cinquante leçons et chansons. Ou peut-être moins si elle survenait plus tôt que prévu.
Contre la fin du monde, la grève ! Lycéens, étudiants, profs, chercheurs, travailleuses, travailleurs, ils feront tous grève le 15 mars pour le climat, contre le changement climatique. Pour que la Normandie ne ressemble pas à la Côte d’Azur (il reste un peu de marge), pour que février ne ressemble pas au mois d’août (c’est foutu), pour que Dunkerque ne se convertisse pas à la culture de l’ananas et Stockholm à celle de la vigne. Certains ont devancé l’appel, comme ces lycéens qui sèchent les cours tous les vendredis, ou comme cette enseignante de Granville, Lucie Auvray, qui s’est mise en « grève illimitée » dès le 25 février en attendant que les choses changent et que les élus réagissent. Comme elle semble nourrir assez peu d’espoir de ce côté-là, Lucie Auvray prévoit déjà de se mettre en disponibilité à la rentrée prochaine pour aider son conjoint dans leur ferme bio et convertir l’exploitation au zéro pétrole. Ses arguments ne sont pas dénués de fondement : à quoi bon continuer à enseigner si c’est pour former des élèves à un monde sans espoir ? A quoi bon s’agiter devant un tableau noir « en donnant l’impression que la situation est sous contrôle ». On ne va tout de même pas continuer à passer l’aspirateur dans une maison en feu.
On se prend naturellement à rêver d’une grève générale, mondiale, illimitée qui paralyserait les transports, les usines, les centrales, les open spaces et leurs scintillants écrans. Et puis aussi grève de la procréation pour désamorcer la bombe démographique, grève des urnes pour ne pas être dupe de cette comédie, grève de l’Internet si jamais il continuait de fonctionner. Trêve de tout, grève partout ! Certes, une telle situation conduirait rapidement au chaos, mais un chaos peu émetteur de gaz à effet de serre, économe en énergie, et qui, de surcroît, serait une excellente préfiguration du bordel qui nous attend. En nous rapprochant de la fin du monde, une bonne grève totale nous obligerait à réfléchir sérieusement à l’après. Travailler aujourd’hui, c’est travailler à notre perte. Cesser de travailler, c’est faire face à cette échéance. Arrêtons tout pour tout recommencer !
Ce scénario, c’est celui du film L’An 01, de Jacques Doillon, Alain Resnais et Jean Rouch qui, en 1973, imaginait un abandon festif de l’économie de marché en deux temps. Un, on arrête tout, et deux, on ne relance que les services et les productions dont l’absence se révèle insupportable. Ce n’est pas la fin du monde, c’est l’an 01. Le premier jour d’une ère nouvelle où s’agitent Romain Bouteille, Coluche, toute la bande du Café de la Gare, celle du Splendid, l’équipe d’Hara-Kiri, Higelin, Gébé, Gotlib et tutti quanti. Bien sûr, il a fallu déchanter rapidement : cette flambée annonçait la fin du feu, tout comme les grèves de 1995 pour le service public ont été son oraison funèbre. Il n’en reste pas moins que cette grève pour le climat ranime ce qui manque le plus à l’humanité aujourd’hui : l’utopie. Sans rêve plus personne n’avance, sans grève plus d’espérance ne sonne.
Imaginez-vous donc en poète, en Léo Ferré replié avec son chimpanzé dans son île du Fort du Guesclin, pas loin de Cancale, chantant La Grève pour dire à ceux qui sont restés à terre le triste sort des gens qui refusent de refuser de bouger :
Avec tes Gauloises manquées
Tu paieras ton lapin-vison
À la Sociale Sécurité
T’enverras des fleurs à ta mère
Avec le reste de tes soucis
Tu mettras de l’eau dans ton verre
Le vin ça fout la maladie
Faut jamais faire la grève…
Édouard Launet
Signes précurseurs de la fin du monde
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