Quelques minutes de strip-tease pour ensuite déambuler nue en esquivant les obstacles –les spectateurs– qui l’entourent et, pendant un peu plus d’une heure, livrer son corps à des facéties, agonies, entraves et agressions préparées par ses soins et non sans humour. Sur le programme distribué à l’entrée de la salle, une consigne : “faire attention aux objets disposés au sol et qui font partie intégrante du spectacle”. Et pour cause, ce sont les pièces d’une collection, que La Ribot a commencée en 1993. Que collectionne-t-elle donc ? Son corps. À la fois seul et multiplié par les objets qui pendant quelques minutes (sept maximum) le transforment. Chaque pièce est unique, appartient à un propriétaire “distingué”, mais elle est reproductible. Le Centre national de la danse a accueilli une sélection de ces “pièces distinguées” intitulée Distinguished Hits (1991-2000) : des tableaux –mais surtout pas des natures mortes– où le vivant saute aux yeux. Comme dans la N°26 (1997) où elle peint sur sa peau, mais ce ne sont pas les craies qui glissent sur son corps, c’est son corps qui, au rythme d’une composition de Carles Santos, entre en collision avec les craies. Et même quand dans Muriéndose la sirena (1993) elle agonise et se livre à un ultime combat contre la mort, la sirène est encore prise de soubresauts.
Soubresauts toujours dans la pièce N°14 (1997) où La Ribot enfile une chaise pliable en bois. Adossée à un mur, bras en quatrième position, un panneau “À vendre” autour du cou, elle se prépare à un étrange ballet. La chaise se met en branle, grince, claque sur son ventre, la couche et la possède par à-coups de plus en plus violents. Ironie : le corps-objet n’est pas celui de la femme à terre ; c’est elle-même qui actionne l’objet qui la terrasse.
Le corps de La Ribot est à lui seul une collection, il se métamorphose au fil des rôles et des accessoires qu’il endosse. En effet, elle a une façon bien à elle de porter la perruque ou le postiche, et pas seulement sur la tête. Car elle pratique aussi l’art du détournement. Dans Missunderstanding (1997), ses bras sont des jambes, celles d’une danseuse qu’on imagine virtuose… et on y croit. Détournement d’images aussi : dans Outsized Baggage (2000), elle se ligote comme on ficelle un paquet volumineux ou comme d’autres font envelopper leur valise dans un film plastique avant d’embarquer. Mais on a à peine le temps de comprendre le sens de la composition qu’elle se transforme en une image d’une tout autre nature : La Ribot porte le code-barres de l’aéroport en écharpe, elle se fige, devient une miss, une potiche perchée en équilibre instable sur un talon unique. Dans Chair 2000 (2000), il ne reste de la chaise que quelques bouts de bois (et le titre de la pièce) qui, une fois scotchés sur son corps, deviennent autant d’entraves lui permettant de jouer avec d’autres codes, qui ne sont plus les codes vestimentaires, dont elle s’est débarrassée au début du spectacle, mais ceux de la danse. Ainsi harnachée, elle n’a d’autre choix que de se hisser sur la pointe des pieds et de porter la tête haute pour tourner lentement sur elle-même. Une nouvelle image nous vient à l’esprit : la danseuse de boîte à musique. Le corps, chez La Ribot, n’est pas un objet, il le suggère.
Les Distinguished Hits (1991-2000) – dix “pièces distinguées” (1993-2000) précédées de Socorro ! Gloria ! (1991) – ont été présentés au Centre national de la danse (Pantin) du 7 au 10 novembre 2016. La Ribot proposera sa nouvelle série Another Distinguée au Centre Pompidou du 5 au 9 avril 2017.
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