On connaît le chorégraphe rangé au rayon des conceptuels pour avoir mis un grand coup de pied à la trop sérieuse danse contemporaine. Ses spectacles ont plu ou irrité, qu’ils soient interprétés par des professionnels ou des amateurs. Son très cinglé et débridé The Show must go on était déjà entré au répertoire du Ballet de l’Opéra de Lyon en 2001 en mettant en valeur la personnalité de chacun des interprètes. Après ce succès, le directeur de la compagnie, Yorgos Loukos qui aime prendre des risques, ce qui fait d’ailleurs la réputation et la qualité du Ballet de Lyon au répertoire pertinent, décida de donner carte blanche à Jérôme Bel pour composer un programme complet qui comprend sa propre création : Posé arabesque, temps lié en arrière, marche, marche.
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Posé arabesque, temps lié en arrière, marche, marche © Michel Cavalca
Il a sélectionné dans le large répertoire de la compagnie (117 œuvres) deux pièces qui éclairent l’histoire de la danse : The Second Detail de William Forsythe, qui déconstruit le vocabulaire académique, et Set and Reset de Trisha Brown, qui incorpore les gestes du quotidien comme la marche et s’épanouit sur la musique de Laurie Anderson. Jérôme Bel, en nous devançant et en commentant ce choix, dit : « Le public aura au moins deux magnifiques pièces à voir ». Il a tout à fait raison. Sa création, son ballet blanc, est pour le moins déconcertante. Sur la musique de Léon Minkus, extrait de La Bayadère, et sur celle de Tchaïkovski, extrait du Lac des Cygnes, il signe une chorégraphie plus que sobre, mettant en exergue des motifs, des attitudes typiques du vocabulaire classique afin de les vider de leurs élans romantiques. On attendra vainement le texte. Il faudra se contenter de l’exergue, et l’entrée de cinq princes au milieu des danseurs médusés n’y changera rien.
La pièce devrait sans doute mûrir encore avant son passage à Créteil fin novembre et ce serait une bonne chose. Les danseurs ne semblent pas avoir saisi l’intention du chorégraphe, et pour cause. Leur traversée du plateau en arabesques et en une ribambelle ne semble guère les concerner comme s’ils étaient soumis à une fade leçon de danse, comme s’ils étaient acculés à un exercice de fin d’école. Avec ce bel « outil » qu’est le Ballet de l’Opéra de Lyon, c’est moche de devoir se contenter de si peu même si la prétention est grande. Seuls les costumes nous auront mis en joie. Jérôme Bel a raté son Défilé, à moins qu’il ait voulu conforter son image de perturbateur.
On se console effectivement en revoyant la pièce de William Forsythe accouplée à la musique de Thom Willems. Le chorégraphe ne boude pas son plaisir de travailler au corps à corps le vocabulaire académique en cassant ses lignes, en le propulsant dans l’espace, en l’accélérant jusqu’au déséquilibre avant de faire exploser sa propre chorégraphie en introduisant une danseuse au summum de l’excitation, une bombe qui bouscule tout avant de tomber au sol. Réconfort aussi avec Set and Reset de Trisha Brown que les danseurs ont incorporée avec gourmandise. La chorégraphie jouissive, la musique de Laurie Anderson et l’œuvre plastique du complice Robert Rauschenberg, elle-même en mouvement ne font qu’un. L’Américaine regrettée (décédée en mars 2017) nous ravit toujours. Merci Jérôme Bel de nous la rappeler.
Marie-Christine Vernay
Danse
Opéra de Lyon, jusqu’au 20 septembre à 20h
Maison des arts de Créteil, dans le cadre du Festival d’Automne à Paris, 0145131919
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