Que liberté me soit donnée de revenir en ces pages sur le fameux cloaque aviaire récemment évoqué dans un billet relatif à la glande uropygienne, ceci afin d’en circonscrire une énième fonction métabolique. Mais d’abord, un bref rappel s’impose peut-être: le cloaque est aux piafs ce que serait, chez l’humain, l’anus, l’urètre, le phallus ou le vagin, réunis en un: une sorte de presque-tout-en-un aberrant qui justifie à lui seul l’intérêt qu’on lui portera dans ce court billet.
Ordoncques ce tout-en-un cloacal impliquant la fonction phallique, il s’ensuit – et cette vérité pourra stupéfier, mais elle doit néanmoins être énoncée sans sourciller, ni craindre non plus de réveiller d’anciennes angoisses castratrices chez l’honnête homme – que l’immense majorité des oiseaux mâles, munis qu’ils sont de leur cloaque, sont conséquemment dépourvus de pénis, car superfétatoire. Les manchots, en leur environnement glacial mais non pas stérile, ne dérogent point à cet andrologique constat d’infortune. Mais sachant que la fonction reproductrice des volatiles, malgré cette lacune obvie (du latin obvius; “ce qui va au devant”), demeure tout de même assurée par le transfert des gamètes mâles jusqu’à leurs complémentaires femelles, c’est donc qu’existe logiquement chez les piafs un organe palliant à l’absence pénienne. Et c’est au cloaque justement, orifice commun à toutes les évacuations digestives et uro-génitales, entre un bombardement fécal et une pressante aspersion urinaire (cf. notre article intitulé « Poopal Velocity »), qu’incombe, en l’espèce, le succès de la performance procréatrice lors de l’idoine saison des amours, quand le stupre généralisé agite les membres des immenses colonies sphéniscidées d’Antarctique et d’ailleurs. En absence de ce que vous savez, ce transfert germinal a ceci de particulier chez les oiseaux qu’il se réalise sans pénétration mais par attouchements « sexuels » des méats, pour dire les choses en des termes policés.
En règle générale, distinguer le trou du cul d’un mâle de celui d’une femelle n’est pas à la portée du premier ornithologue venu, car les cloaques sont ordinairement et structurellement indifférenciés lorsqu’on les observe d’un point de vue l’extérieur. Dans cette optique, c’est donc dire que l’égalité est quasi-parfaite : non seulement il y a autant de trous du cul chez les mâles que chez les femelles, mais en plus ils sont pratiquement identiques ; à croire que c’est la chose la mieux partagée au monde… Mais en dedans du cloaque, là, c’est une autre affaire. La nature étant bien faite, les cloaques mâle et femelle se trouvent en effet respectivement à l’embouchure des conduits déférents amenant spermatozoïdes des testicules de piafs, chez les mâles, et au débouché de l’oviducte conduisant l’ovocyte depuis l’ovaire, chez la femelle. En définitive, c’est la médiation, ou plutôt le contact appuyé d’un cloaque sur l’autre, qui promeut la migration des gamètes d’une pétaudière à l’autre et, partant, la venue de générations entières de poussins dans leur œuf. Chez les manchots empereurs, par exemple, la ponte survient 24 à 48 heures après l’accouplement, cet acte que les spécialistes nomment avec romantisme – on les comprend – le “Baiser cloacal”.
Baiser cloacal? J’ai dit baiser cloacal? Comme c’est bizarre! Cette singulière forme de coït avec des plumes comprend les étapes suivantes. D’abord, d’un geste galant, la femelle soulève sa queue pour permettre le repérage et l’identification de son cloaque, objet de l’attention soutenue, voire monomaniaque, du mâle. Ce dernier, généralement peu agile, parvient tout de même à monter fissa la femelle. Là, il abaisse son cloaque pour recouvrir celui de sa partenaire, puis, au profit de ce contact fugace, il éjacule sans un râle. « Alea jacta est! » comme les Romains aimaient à le dire. En quelques fougueuses secondes, le baiser cloacal est achevé, la messe dite. Le mâle quitte alors le dos de la femelle en sautant de son perchoir sexuel. La femelle, quant à elle, abaisse sa queue comme on tire un volet déroulant annonçant la fermeture du commerce, et, dans une brève série de spasmes, elle contracte son cloaque pour mieux aspirer le sperme qui l’emplit.
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