Réseaux sociaux, blogs, téléphones mobiles… Je scrute nos couacs relationnels, nos dérives de comportements, nos tics de langage – toutes ces choses qui font que, parfois, je préfère me taire.
Le 25 septembre sortait Mario Kart Tour, une énième version du jeu vidéo de course piloté par le plombier star de Nintendo. Gratuit à options payantes, le jeu a secoué non seulement les mobiles (pour lesquels il est développé), mais aussi les réseaux. Dégommant toutes les actualités du jour – jusqu’à Trump lui-même –, un hashtag directement issu de l’univers de Mario allait ainsi prendre d’assaut la twittosphère : #toadette.
C’est soudain le drame…
Pour ceux qui ne sont pas familiers avec la mascotte de Nintendo et ses dizaines de comparses, les Toads constituent un groupe de personnages populaires, notamment grâce à leurs nombreuses déclinaisons en produits dérivés et leur forme simple de champignon. Toadette, c’est bien sûr la version girly du traditionnel Toad.
Ce dernier mercredi de septembre, alors que les gamers se ruent sur Mario Kart Tour enfin sorti (avec six mois de retard), c’est soudain le drame. What. The. Fuck. Parmi les personnages rapidement déblocables, deux sortent très régulièrement: Peach (la princesse, donc), et Toadette.
Des filles dans l’univers de Mario, il y en a depuis le premier épisode de la série, en 1985. Leur présence a – heureusement – évolué, depuis la simple potiche (Princesse Peach des débuts) en persos de qualité – qu’on choisit non plus parce pour leur « mignonitude » mais bien pour leurs qualités au sein du gameplay.
Un univers burné
Pour tester cette nouvelle version de Mario sur mobile, il fallait entrer un mail, cliquer sur le lien reçu – payer sa part, en somme, en livrant toutes ces données associées à nos téléphones qui font que le jeu n’est soudain plus si gratuit. Las, je songeais au premier Mario pixelisé sur les consoles de poche, celui par qui s’imposerait, outre le combo gagnant salopette et moustache, une façon de concevoir le jeu vidéo et de le jouer.
Alors surgirent les souvenirs des héros jadis célébrés sur console – Duke Nukem, bad boys de Grand Theft Auto, Tony Hawk. Un monde qui semblait soudain terriblement burné. Surarmés, surmusclés, évoluant dans des univers ultracodifiés, ces personnages ne supportaient aucun équivalent féminin. Ici, il fallait être un homme. Des gameuses, il y en avait quelques-unes, mais des persos filles à l’aura équivalente à celle des persos mecs, point. La femme, quand elle apparaissait, incarnait le fantasme d’une perfection hypersexualisée – sexy en diable, jeune, mammairement sculpturale – Lara Croft, sors de ce corps.
Grand Theft Auto, Duke Nukem et Tony Hawk Pro Skater
Winneur, winneuse
Un #metoo plus tard, Nintendo lance donc sa nouvelle version de « Mario » en mettant en avant Peach et Toadette. Soit la princesse de service, mais également une champignonne rose dépourvu de l’alibi de la beauté ou du rôle traditionnel : un perso qui ne répond a priori à aucun cliché traditionnel patriarcal – « queer » pourrait être le mot approprié.
Une partie des gamers – des mecs, des vrais – a immédiatement réagi, notamment sur Twitter. Scandale ! Le winneur pouvait avoir l’allure d’une winneuse !
Jouer avec un personnage féminin leur semblait à ce point dégradant qu’ils menaçaient de désinstaller le jeu s’ils ne retrouvaient pas Bowser, l’avatar balaise de service. Pire ! En rose, ils se voyaient relayés au rang de « pute de Mario » – au passage, merci pour les putes…
À l’heure où chacun d’entre nous devrait – enfin – pouvoir vivre en paix avec sa part féminine et sa part masculine, ce quel que soit son genre, ce type de propos évoquent le rance d’une virilité archaïque. Ils salissent l’homme autant que la femme. Pour cela, chacun d’entre nous devrait le condamner – celui-ci, comme tous ses semblables qui entachent les réseaux.
Merci, merci, merci
Jamais je n’aurais songé remercier un champignon rose, mais voila : merci, Toadette. Merci aussi à Interflora pour sa communication à propos (communicants de tous les pays, pensez-y : ce genre de positionnement fait florès). Merci enfin à Mario sans qui décidément le jeu vidéo ne serait pas ce qu’il est.
Stéphanie Estournet
Je me tais et je vais vous dire pourquoi
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