Un fleuve large comme un champ de coton enjôle le corps d’un géant. Des ballots de laine s’envolent dans la vapeur d’un steamer. La joue posée contre une branche noire un nageur avec la voix se laisse charrier avec la voix de Romain Dayez, baryton.
C’est le granit, par la voix, c’est le granit devenu fleuve de pierre soyeuse. C’est l’ardoise, le toit d’ardoise d’une maison aux volets bleus et les paroles couleur quartz d’une femme tendre et droite qui vous suit du regard et sa langue cascade en brillant noir. Par la voix poser sa joie contre le grès soyeux, se frotter à la jeunesse d’un massif raviné. D’un granit noir bondissant comme un chat qui se cambre au milieu d’un saut. D’un granit doux comme la laine d’un agneau sur la peau d’un jeune homme à la barbe naissante.
Ailleurs, Thésée revient joyeux avec ses voiles noires, il a vaincu le minotaure.
Mât de misaine et d’artimon brick-goélette, voile carré. Voile en deuil mais Thésée vainqueur, Thésée de victoire noire avec la voix bon compagnon.
Dans la montagne un enfant saute de pierre en pierre et au-dessus du feu de Saint Jean sautent les corps des jeunes hommes, sautent de plus en plus haut.
Sur une branche de mélèze, je dors pendant la fête et Thésée se souvient de la peau noire du minotaure.
Noir berline, noir bolide, noir de lunettes noires miroir de soleil, et de ciel miroir brillant noir, noir rouge à force, voix Bourgogne, voix Rhône cheminant comme un dieu, voix fleuve noir grenat de la nuit quand on y voit.
Le mont Pelion, voici qu’il danse, montagne libre, roc gracieux, le mont Pélias voici qu’il danse de sa danse montagneuse, voici qu’il danse, comme un Grec, avec la force des lignes que dessine le corps, et tous les monts qui sont des dieux voici qu’ils entrent dans la danse, le Mont Ossa et le Parnasse qui agitent leurs sapins sombres. Falakró, Lycabette, Othrys, Parnon, Mont Ida, Mont Œta se revêtent des plus belles neiges. Vignemale et Canigou vont au bal des pierres massives, comme des moines bûcherons, et même le Karakoram. Les monts costauds, voici qu’ils bougent granit souple, Athos virevoltant de noir, pierre agile, montjoie et menhirs aux belles arabesques, dolmens développés jetés.
La joue contre la pierre chaude, une nymphe égarée goûte la saveur de l’acier mauve, ou ailleurs les volutes des tissus jetées-là en coulisse, à l’arrière d’un défilé où passent des femmes géantes, des tissus vagondulant sur la courbe des hanches moirées.
Sur un meuble d’acajou repose un vison découpé pour tenir le cou de la lune. Sur la main voix je dors. Et Thésée se souvient de la saveur du Minotaure. La nuit chuchote une histoire avec un coffre de pirate plein d’or au fond de la terre aux vagues noires de mer.
Noir Memling, Noir Van Dick, Noir des Flandres et de Castille, de la voix de Romain Dayez Baryton.
La nuit chuchote un Bourgogne au goût d’automne, de terre et de morille.
Thésée pleure le Minotaure. Dans la nuit sombre mauve Golaud, enfin, embrasse Pelleas.
Et David caresse Goliath.
Le Rapt invisible
Requiem aeternam
« Amour… Toujours » de Gaston Gabaroche
Tiré de Azor et extrait du spectacle Apocalypse Café
avec Hélène Delavault et Cyrille Lehn,
produit par la Maison de la Culture d’Amiens
« Le Lac » de Francine Aubin
Création mondiale dirigée par Lionel Stoléru à la Salle Gaveau, Paris
Le baryton belge Romain Dayez naît à Bruxelles en mars 1989. Avant de se lancer professionnellement dans le chant, il s’essaye à diverses formes d’expression, musicale (cornemuse, piano, clarinette), théâtrale, mais également plastique en réalisant plusieurs expositions individuelles. Prenant peu à peu conscience que l’excellence nécessaire à chacune de ces expressions artistiques impose de développer des aptitudes techniques solides et que le touche-à-tout l’empêche de se concentrer sur une discipline en particulier, il se voit contraint – c’est bien le mot – de choisir une spécialité pour en faire son métier. Il décide donc en 2007 d’entamer la formation professionnelle pour devenir chanteur lyrique. Né dans une famille comptant artistes, collectionneurs, critiques ou directeurs culturels, il a la chance de faire la connaissance de personnalités qui l’incitent à faire de l’art son métier et qui lui font découvrir de nombreux courants artistiques.
Pour répondre à un désir de créer qui ne va pas nécessairement de pair avec le métier d’interprète, le chanteur s’oriente spontanément vers de nouvelles formes, des œuvres et styles peu référencés ou des adaptations, parfois assez personnalisés ou lui offrant une marge de manœuvre assez large dans l’interprétation – et parfois dans la vocalité à proprement parler -, tels la musique médiévale, baroque, l’oratorio, la musique contemporaine, l’opérette, la chanson ou la comédie musicale. Concernant l’incarnation des rôles d’opéras, il enfile la tenue des rois, des séducteurs, des salauds, mais principalement celle des clowns qu’il incarne avec naturel. Passionné par le monde animal qu’il connait bien par son passé d’éleveur et son intérêt pour la taxidermie, il s’intéresse de près à l’éthologie et y voit un foyer inépuisable d’idées pour nourrir son jeu et enrichir sa corporalité ; son mémoire au Conservatoire a pour sujet L’animalité en scène – enjeux, applications et finalités de l’emprunt animal dans les arts de la scène.
Très critique et dubitatif quant au rôle des concours d’artistes-interprètes qu’il considère comme totalement contraires à l’éthique de l’art et qui prennent malheureusement de plus en plus de place au devant de la scène musicale, incitant ainsi les jeunes à s’y présenter souvent à contrecœur, pour un public souvent plus friand de compétition que de musique, et dans le même sens que Debussy qui ne les réserve qu’aux chevaux, il n’en présente pas un seul.
Passionné par le travail avec des créateurs de tous horizons, il participe à de nombreuses productions atypiques et à une vingtaine de créations mondiales, dans lesquelles il s’associe parfois à des plasticiens, circassiens ou danseurs. Il estime certains artistes de musique actuelle autant que les monuments de la « grande musique classique » (exception faite pour Johann Sebastian Bach qu’il vénère depuis toujours et dont il ne parvient pas à trouver l’équivalent en terme de beauté) et considère qu’aucun genre musical n’a de primauté sur un autre. Il développe une véritable passion pour les musiques traditionnelles, la musique sacrée contemporaine, l’électro, le grégorien ou la musique de film. Voyant l’art comme le vecteur de pensée actuel le plus puissant, il tente de participer autant que possible à des projets engagés. Musicalement parlant, il aime ceux qui parviennent à associer subtilement des langages musicaux distincts, parfois antagoniques, tels Jordi Savall, Armand Amar, Jean-Paul Dessy, CocoRosie, Dead Can Dance, Peter Gabriel, Björk, etc.
Parallèlement à sa carrière de chanteur lyrique, il a accordé une partie de son énergie à être directeur artistique de deux structures qu’il a créées dans la même direction que sa vie d’interprète. La première, l’ArtShake Gallery (salle à Bruxelles ayant proposé des événements artistiques favorisant la communion des arts) et la seconde, Le Rapt Invisible, un projet qui présente sous forme de spectacles ou performances le répertoire sacré ancien, associé à des sons électroniques, des improvisations et des procédés musicaux librement inspirés de musiques traditionnelles, minimalistes ou de film, le faisant ainsi passer du côté de la musique actuelle.
Peu importe où sa vie artistique doit le mener, il tient par dessus tout à garder une liberté de choix absolue.
Aux mois de mai et juin 2018, Romain Dayez sera Bagnolet dans Les P’tites Michu, à l’Opéra de Nantes, à l’Opéra d’Angers, à Paris au Théâtre de l’Athénée (où il reviendra en juin 2019 pour Le Testament de la tante Caroline) et au Perreux-sur-Marne. On l’entendra également le 20 mai 2018 lors de la Nuit Sacrée, à l’Église Saint-Merry et le 23 juin en concert à la Philarmonie de Paris. Le 11 juillet 2018, il chantera, à Montpellier, le rôle Don Pedro de Hinoyosa dans La Périchole sous la direction de Marc Minkowski. Il se produira dans Le Rapt invisible à Toulouse en octobre 2018. À l’automne 2018, on pourra l’entendre dans La Passion de Simone à l’Opéra de Nantes, dans Le Miroir d’Alice à l’Opéra de Reims, dans Faust à l’Opéra de Rouen. Il se produira le 9 novembre 2018 au Théâtre Impérial de Compiègne, dans un spectacle conçu à l’occasion du centenaire de la Première Guerre mondiale. En décembre 2018, il reprendra à Châteauvallon le spectacle Apocalypse Café qu’il a créé avec Hélène Delavault ; pour le début de l’année 2019, on annonce un Barbiere di Siviglia à l’Opéra de Bordeaux.
Sophie Rabau
Portraits de voix lyriques
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