“Un soldat américain décède en Irak touché à la tête par une balle retombant du ciel.” Le 31 juillet 2003, James I. Lambert III, soldat de 22 ans attaché à la première division blindée, succombait en recevant pile sur le haut du crâne une balle tirée par on ne sait qui, et qui a priori ne lui était pas destinée. Pour un Américain, il y avait à l’époque mille façons de mourir à Bagdad. Celle-là était vraiment originale.
Il arrive que, dans de grands moments de joie, certains se saisissent d’une Kalachnikov et tirent follement des coups de feu en l’air. En tout cas, la chose se pratique dans beaucoup d’endroits de la planète, en particulier au Moyen Orient. La pratique n’est pas sans danger : une balle peut retomber sur la tête de quelqu’un, et c’est ce qui est arrivé dans le cas qui nous occupe.
La science a longtemps manqué de données sur ce type d’accident pas si rare, jusqu’à ce qu’une équipe de chercheurs aille passer le réveillon de l’an 2003/2004 à Porto Rico. Sur cette île charmante, la nouvelle année est traditionnellement célébrée par un grand canardage des étoiles. Tant et si bien que l’on relève en moyenne deux morts et vingt-cinq blessés par Saint-Sylvestre. Eh bien, comme ils l’ont rapporté dans la délicieuse revue Morbidity and Mortality Weekly Report, les épidémiologistes ont établi que les balles retombant du ciel étaient largement en cause, après examen de dix-neuf personnes qui avaient fort mal commencé l’année 2004 : un mort et dix-huit blessés.
Quelques années auparavant, une autre équipe américaine avait analysé une grosse centaine de cas en exhumant de vieux dossiers. La plupart des victimes (77%) avaient été touchées à la tête avec un taux de mortalité de 32%, bien supérieur à celui des blessures par balles “classiques”, c’est-à-dire résultant de tirs plus ou moins horizontaux. La raison en est probablement que ces balles “lentes”, qui bourdonnent comme des frelons, font des dégâts considérables quand elles touchent le crâne. Notez que l’on compte parmi ces victimes au petit bonheur plus de femmes et d’enfants que dans les fusillades habituelles.
D’un point de vue de santé publique, il y a donc là un problème qui doit inciter les pouvoirs publics à réglementer l’usage des armes les soirs de liesse. Dans sa grande sagesse, Saddam Hussein avait banni ce type de réjouissances, très fréquentes en Irak. Las ! Les tirs ont repris de plus belle après que le Raïs a eu quitté le pouvoir. “Chaque jour à Bagdad, et parfois plusieurs fois par heure, rapportait la revue Stars and Stripes en 2003, un Irakien tire des coups de feu en l’air parce qu’il est content pour une raison ou pour une autre.” Les tirs horizontaux restent tout de même plus fréquents, aujourd’hui encore.
La physique du coup de feu vertical est passionnante mais pleine d’équations complexes. Résumons l’essentiel. Un projectile classique de calibre 7.62 mm tiré verticalement à partir d’une carabine part à une vitesse d’environ 800 mètres par seconde. Il atteint une altitude de 2400 mètres en 17 secondes, puis est ramené vers le sol par la gravité. Il lui faut 40 secondes pour retomber sur terre, à une vitesse de 70 mètres par seconde. Un projectile plus sérieux, genre .44 Magnum, monte à 1400 mètres et revient 76 mètres par seconde. Seul un parapluie blindé protégerait de ce genre d’averses. D’ailleurs on a essayé. Peu après la Première guerre mondiale, l’Américain Julian S. Hatcher a installé une mitrailleuse sur une plate-forme en mer au large de la Floride. Un jour sans vent, 500 projectiles furent tirés dans les airs aussi verticalement que possible. Résultat : seuls quatre retombèrent sur le toit en métal qui protégeait les expérimentateurs. Les autres retombèrent dans l’eau dans un diamètre d’une vingtaine de mètres. En temps normal, on n’a donc guère plus de chances de prendre sur son propre crâne la balle que l’on vient de tirer que de gagner au Loto.
Édouard Launet
Sciences du fait divers
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