“Footbologies” : les mythes et les représentations propres à un championnat de football analysés journée après journée de Ligue 1.
Contre Lille, Mario Balotelli a inscrit un doublé. L’efficacité retrouvée de la plus célèbre crête de Ligue 1 offre l’opportunité de s’interroger sur les rapports complexes des footballeurs à leur coiffure.
À première vue, la coupe de cheveux participe de la mise en valeur du corps, au même titre que le tatouage. Le corps est un instrument de travail dont on prend soin. Son efficacité suscite une fierté qui mérite d’être rendue publique. On se souvient du même Balotelli, torse nu, immobile, tous muscles bandés après son chef-d’œuvre contre l’Allemagne à l’Euro 2012 : le rapport amoureux de l’artisan à ses outils. C’est à eux qu’on reconnaît le bon ouvrier, dit le proverbe. Pour autant, les bons outils ne font pas forcément les bons ouvriers : nombre de jeunes footballeurs s’y laissent prendre, qui exhibent des corps tape-à-l’œil comme si c’était la garantie du talent. Au contraire, tatouages et coupes de cheveux sont des récompenses, des décorations dans tous les sens du terme. L’amateur de belle mécanique bichonne le moteur de son bolide autant qu’il brique sa carrosserie. Performance et esthétique vont de pair. La coupe de cheveux tient de la customisation. Souvent, les motifs se ressemblent : flammes, ailes et éclairs, symboles de puissance et de vitesse. La crête favorite des joueurs est comme un aileron : aérodynamique.
Mais le corps du footballeur n’est pas qu’une voiture de collection qu’on conserve dans son état d’origine. Le tuning est une appropriation. La coupe de cheveux démontre d’une personnalité. Au football, les occasions d’exprimer sa différence sont rares. On attend d’un joueur qu’il se « fonde dans le collectif ». La célébration de but est un des rares moments où l’individu se manifeste librement, et certains en profitent pour faire passer un message, écrit sur un tee-shirt ou mimé. Pour le reste, l’uniformisation gagne, par peur de la mauvaise presse. On polit la communication pour les besoins du marketing. Sans compter que les centres de formation standardisent le jeu de joueurs en série. Alors, les colorations criardes et les coupes fantasques pour se faire remarquer. Des coiffures recherchées pour des personnalités qui veulent affirmer leur complexité. Du moins en apparence, car les possibilités de l’art capillaire ne sont pas infinies, et à force d’en abuser les joueurs en viennent paradoxalement à s’imiter les uns les autres. Au final, quoi de plus commun qu’une coupe de cheveux extravagante pour un footballeur ?
Rien d’étonnant alors que la coiffure manifeste une rivalité. Comme dans les tribus primitives où elle avait pour fonction d’inspirer la peur à l’ennemi, la coiffure lance un défi à l’adversaire. Là encore, la crête fait sens : le football est un combat de coq. Retour à Balotelli en 2012 : posture de provocation du corps bobybuildé, bravade testotéronée de mâle alpha. Ainsi les rois des basse-cour lancent-ils leur cocorico vers les tribunes. La coupe de cheveux participe de l’érotisation des corps. Le calendrier Pirelli fait partie de l’imaginaire automobile, une grosse cylindrée sert aussi à emballer. Par ici les poulettes ! La crête tient de l’aileron du requin : elle annonce la présence du prédateur. Or, tout le paradoxe est là : l’amateur de combats de coqs sait qu’on les ampute de leur crête, qui les rend trop vulnérables. Le bel attribut sexuel est le point faible des coqs, seuls ceux qui n’entrent pas dans l’arène s’enorgueillissent de l’inutile appendice. Et l’aileron du requin finit en potage. En fait de symbole de virilité, la coiffure du footballeur exprime une part de féminité. Fini l’unisexe, la blondeur peroxydée ne fait plus peur. Zlatan porte bien le chignon !
Le soin apporté au corps fait soudain planer sur les icônes glamour du football une indéfinition sexuelle qui évoque des images de calendriers de nu en noir et blanc. Traditionnellement, les cheveux longs disaient la vigueur, ils prolongeaient l’énergie corporelle, une coiffure hirsute dénotait la force primale, la sauvagerie, l’animalité. Au contraire, les cheveux coupés et coiffés exprimaient une énergie canalisée, la force bridée. Une forme d’émasculation que personnifie Samson. On pourrait dire des tatouages tribaux à la mode la même chose que de ces coiffures de guerre détournées de leurs fonctions premières, guerrières ou nuptiales. Le footballeur a inventé le hipster avant l’heure, dont la pilosité n’est plus qu’un ornement un peu vain.
La coupe de cheveux joue généralement un rôle dans l’identification sociale, elle peut servir de signe de reconnaissance à des tribus urbaines ou des groupes socio-culturels. Elle fait langage. Dans le football, ce langage a perdu sa signification. À de rares exceptions, le signifié tourne à vide. Souvent paradoxal, comme ces décolorations qui prétendent convertir l’absence de couleur en signe distinctif. La coupe de cheveux n’adresse plus d’autre message que : « je suis un footballeur » (ou un supporteur). Elle se désigne elle-même. Et s’annule finalement dans cette forme d’aphasie qu’est le crâne rasé de Zinédine Zidane.
Sébastien Rutés
Footbologies
0 commentaires