Alors qu’il vient d’apprendre qui devra quitter le Centre chorégraphique national de Grenoble qu’il dirigeait depuis 1984, Jean-Claude Gallotta recrée My Rock, une pièce bourrée d’énergie qui annonce le retour du groupe Émile Dubois, la compagnie que le chorégraphe créa en 1979 avec Mathilde Altaraz.
Fini le Centre chorégraphique national de Grenoble, vive le groupe Emile Dubois. Le 29 septembre avant la première de la recréation de My Rock à la MC2 (Maison de la culture de Grenoble 2), le jury s’était réuni pour décider de l’avenir du Centre chorégraphique national dirigé depuis 1984 par le chorégraphe Jean-Claude Gallotta. La ministre n’a pas tardé à l’annoncer : au 1er janvier 2016, deux artistes dont nous suivons attentivement le travail, Rachid Ouramdane et Yoann Bourgeois succèderont à l’historique Gallotta. Selon le communiqué au ministère : “Ils proposent une association inédite entre danse et cirque dans un esprit d’innovation artistique et d’ouverture. Leur projet, baptisé Les horizons mobiles, repose sur les notions de rencontre, d’altérité, d’élargissement et de relais. Leur ambition est de créer un véritable pôle de production chorégraphique permettant la création au sein du Centre chorégraphique national d’une ‘ruche d’artistes’. Les collaborations envisagées offrent un éventail large d’esthétiques en lien direct avec les enjeux de société et une large ouverture aux jeunes générations à travers la mise en place d’un pôle numérique pour un plateau augmenté.”
Jean-Claude Gallotta, qui peut partir la tête haute et qui n’a pas à s’inquiéter pour son avenir (un accompagnement de 200 000 euros par an pendant trois ans et surtout son désir de poursuivre l’aventure), ne cache pas une certaine colère. Car il y a eu un faux pas. Avec Jean-Paul Angot, directeur de la MC2, il avait planché ainsi que son équipe sur un projet qui ouvrirait et refonderait le Centre chorégraphique national. Tous les partenaires semblaient intéressés, du ministère de la Culture au maire de Grenoble. C’est donc avec stupéfaction que tous ont appris qu’un autre plan était en marche et qu’ils avaient donc tous “perdu du temps” selon l’expression de Jean-Paul Angot. “C’est là, dit le chorégraphe, un peu vexé quand même, que je ne comprends pas. Si tout était déjà décidé, pourquoi nous avoir fait plancher sur un projet ? Je ne m’inquiète pas pour Mathilde ou moi mais c’est un choc pour l’équipe.” Des maladresses, il y en a eu de part et d’autre, des doubles jeux aussi sans doute. Et on ne peut souhaiter que bonne chance à Rachid Ouramdane et Yoann Bourgeois pour cette codirection.
En attendant, My Rock ne pouvait mieux tomber. La pièce avait été créée il y a onze ans, pour la réouverture de la Maison de la culture agrandie et rénovée, et qui allait être déterminante pour la création de L’homme à tête de chou avec Alain Bashung. Comme disait Bob Dylan, “il va certainement se passer quelque chose ici mais on ne s’est pas ce que c’est, n’est-ce pas Mr Jones !” Ce quelque chose, c’est ce qui lie l’univers de Jean-Claude Gallotta, celui de la post-modern dance américaine, Cunningham en tête, et l’écoute personnelle des figures légendaires du rock, d’Elvis Presley à Patti Smith. Ce quelque chose, c’est aussi l’énergie du désespoir ou de la contestation qui irrigue le spectacle, remonté parce qu’il avait peu tourné et parce que les danseurs, les anciens de la compagnie comme les nouveaux, y excellent, portés par le choix musical de Jean-Claude Gallotta qui est tout sauf une encyclopédie du genre.
Promenade électrisée, le spectacle en noir et blanc – comme la pochette de l’album culte de Patti Smith, Horses (1975), où elle est photographiée par Robert Mapplethorpe – My Rock est un condensé de la danse de Gallotta, libre, adolescente, cachant des fêlures sous des grands jetés, des petits pas de souris, des élans amoureux. Lui-même se promène dans la pièce, le chapeau de crooner rital de son père fiché sur la tête et les chaussures noires cirées. Un brin pédagogique pour resituer l’importance de chacun des rockers cités, le spectacle montre le côté revendicatif de la musique, son engagement dans une Amérique blanche qui a déjà rompu son contrat social, comme la décrit si bien Greil Marcus dans son essai impitoyable L’Amérique et ses prophètes. La République perdue ? (ed.Galaade). Jean-Claude Gallotta a un faible pour Nick Drake, jeune homme à part qui décéda à l’âge de 27 ans “parce qu’il montre, dit le chorégraphe, que le rock n’est pas que du show biz mais aussi une culture, une pensée, un absolu, poussés parfois jusqu’à la souffrance et la mort”. Les solos, chemises débraillées sur des sous-vêtements, vestes d’homme pour les femmes, exigent beaucoup des danseurs, qui doivent toujours garder la même tension tout au long du spectacle pour faire des entrées fracassantes au moment voulu. Les duos exacerbent le couple, la relation duelle si amoureusement faite et défaite. Quant aux ensembles qui surchargent la scène nue, ils explosent dans le “Gloria” de Patti Smith.
C’est aussi l’occasion de révéler l’identité de Yves P. auquel Jean-Claude Gallotta dédia en 1983 une pièce qui dura une nuit entière et magique au Festival d’Avignon. Yves Perrin était un ami du chorégraphe, un rocker suicidé. La boucle est bouclée, My Rock est bien une histoire personnelle en treize morceaux de musique, en treize pochettes, à partager sans modération.
Marie-Christine Vernay
Danse
Marie-Christine Vernay rencontre Jean-Claude Gallotta pour Radio Bellevue :
Dates des prochaines tournées sur le site de la compagnie.
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