En lisière des platanes de l’île Piot, des chapiteaux, petits et grands : c’est la Région Occitanie qui fait son cirque en Avignon et les deux formes dont il est question ici rappellent s’il est nécessaire qu’il ne faut pas confondre tourner rond et tourner en rond… Arnaud Saury et Mathieu Despoisses, tout deux avec le même vélo dit « acrobatique » et inlassablement en mouvement, effectuent en parlant des tours et des tours sur un cercle qu’il nous plaît d’imaginer de craie et même caucasien tant le théâtre s’invite subtilement dans les corps pédalant, voltigeant, en suspension, en extension, tête en bas, pieds en haut ; seuls la voix, les mots et le regard restent posés et c’est merveille de constater que l’essoufflement ne trouble pas un instant la clarté du dialogue ni le piquant du propos. Quand on est « super mal assis » on a envie d’autre chose et par exemple d’une « baeneane » – puisque Dad is dead, tout est permis, et aussi de tordre un peu les phonèmes –, fruit peut-être équitable mais pas local ; et sans perdre les pédales une discussion très douce s’installe entre les deux hommes dont on suit avec délectation la stricte circonvolution digressive autour des subtiles impostures de certains engagements ; des vices cachés du « fair trade » au désir de respectabilité des gays et lesbiennes, les incohérences, les contradictions qui nous habitent se glissent dans les postures paradoxales et parfaitement inconfortables. Arnaud finit par descendre de vélo pour manger sa banane et préparer sa manif ; les derniers tours de roue servent à décapsuler des bières et les deux hommes se perdent dans les coulisses en poursuivant leur dialogue hilaro-pertinent. L’air de rien quelque chose d’autre que du temps est passé et on se retrouve bien vifs dans la yourte d’à côté à faire cercle autour de Boris le trappeur solitaire pour Un Soir entre tête de cerf et écran de TV feu de bois ; le blizzard est plutôt dans le frigo et le cirque d’abord dans la bouche d’Olivier Debelhoir qui construit une épopée virtuose de mots accolés, empilés, virevoltants, piqués aux westerns et autres films d’aventure ; le mal aimé peuple son monde de personnages, joue de l’accordéon et s’affaire ô surprise à taquiner vilain les lois de la gravité avec sa pelle à neige et ses skis créant des situations à couper le souffle. Tendresses acrobatiques, artistes subtils qui de leurs fictions ténues mettent en branle les petites machines vivantes que nous sommes censés être.
Marie Jo Dho
Théâtre
Dad is Dead (Mathieu Ma Fille Foundation) et Un Soir chez Boris (solo de cirque sous yourte d’Olivier Debelhoir et Pierre Déaux), jusqu’au 23 juillet à Avignon (île Piot / La région Occitane fait son cirque en Avignon ).
Dad is dead au festival Mimos (Festival international des arts du mime et du geste, Périgueux) le 26 juillet à 17h et 20h.
Soir chez Boris en tournée en 2017 et 2018 à Saint-Médard-en-Jalles (33), Bègles (33), Lille (59), Bagnère-de-Bigorre (65), Obernai (67), Chambéry (73), Cormeilles-en-Parisis (95), Gonesse (95)…
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