La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

Le sens de l’équilibre
| 26 Juil 2017

En lisière des platanes de l’île Piot, des chapiteaux, petits et grands : c’est la Région Occitanie qui fait son cirque en Avignon et les deux formes dont il est question ici rappellent s’il est nécessaire qu’il ne faut pas confondre tourner rond et tourner en rond… Arnaud Saury et Mathieu Despoisses, tout deux avec le même vélo dit « acrobatique » et inlassablement en mouvement, effectuent en parlant des tours et des tours sur un cercle qu’il nous plaît d’imaginer de craie et même caucasien tant le théâtre s’invite subtilement dans les corps pédalant, voltigeant, en suspension, en extension, tête en bas, pieds en haut ; seuls la voix, les mots et le regard restent posés et c’est merveille de constater que l’essoufflement ne trouble pas un instant la clarté du dialogue ni le piquant du propos. Quand on est « super mal assis » on a envie d’autre chose et par exemple d’une « baeneane » – puisque Dad is dead, tout est permis, et aussi de tordre un peu les phonèmes –, fruit peut-être équitable mais pas local ; et sans perdre les pédales une discussion très douce s’installe entre les deux hommes dont on suit avec délectation la stricte circonvolution digressive autour des subtiles impostures de certains engagements ; des vices cachés du « fair trade » au désir de respectabilité des gays et lesbiennes, les incohérences, les contradictions qui nous habitent se glissent dans les postures paradoxales et parfaitement inconfortables. Arnaud finit par descendre de vélo pour manger sa banane et préparer sa manif ; les derniers tours de roue servent à décapsuler des bières et les deux hommes se perdent dans les coulisses en poursuivant leur dialogue hilaro-pertinent. L’air de rien quelque chose d’autre que du temps est passé et on se retrouve bien vifs dans la yourte d’à côté à faire cercle autour de Boris le trappeur solitaire pour Un Soir  entre tête de cerf et écran de TV feu de bois ; le blizzard est plutôt dans le frigo et le cirque d’abord dans la bouche d’Olivier Debelhoir qui construit une épopée virtuose de mots accolés, empilés, virevoltants, piqués aux westerns et autres films d’aventure ; le mal aimé peuple son monde de personnages, joue de l’accordéon et s’affaire ô surprise à taquiner vilain les lois de la gravité avec sa pelle à neige et ses skis créant des situations à couper le souffle. Tendresses acrobatiques, artistes subtils qui de leurs fictions ténues mettent en branle les petites machines vivantes que nous sommes censés être.

Marie Jo Dho
Théâtre

Dad is  Dead  (Mathieu Ma Fille Foundation) et Un Soir chez Boris (solo de cirque sous yourte d’Olivier Debelhoir et Pierre Déaux), jusqu’au 23 juillet à Avignon (île Piot / La région Occitane fait son cirque en Avignon ). 
Dad is dead au festival Mimos (Festival international des arts du mime et du geste, Périgueux) le 26 juillet à 17h et 20h.
Soir chez Boris en tournée en 2017 et 2018 à Saint-Médard-en-Jalles (33), Bègles (33), Lille (59), Bagnère-de-Bigorre (65), Obernai (67), Chambéry (73), Cormeilles-en-Parisis (95), Gonesse (95)…

EnregistrerEnregistrer

EnregistrerEnregistrer

EnregistrerEnregistrer

EnregistrerEnregistrer

EnregistrerEnregistrer

EnregistrerEnregistrer

0 commentaires

Dans la même catégorie

Bernardines, suite et pas fin

Directeur du théâtre des Bernardines à Marseille de 1987 à 2015, Alain Fourneau travaille à la réalisation d’un « livre-outil » à partir de l’histoire d’un lieu majeur pour le théâtre d’essai en Europe.

Kelly Rivière remonte à la source

À partir d’un secret de famille (un grand-père irlandais disparu dont personne ne veut parler), Kelly Rivière, seule en scène, offre une hilarante pièce intime solidement construite. Dans sa quête des origines, elle passe sans cesse d’une langue à l’autre, jusqu’à brouiller les repères, comme si les barrières linguistiques étaient emportées par le flux de son histoire. Une incertitude linguistique qui fait écho aux incertitudes d’un final qui laisse beaucoup plus de questions que de réponses.

Jon Fosse ou la musique du silence

Si Shakespeare utilise dans son oeuvre un vocabulaire de 20.000 mots là où Racine n’en a que 2000, Fosse, lui, tournerait plutôt autour de 200. Une décroissance qui n’est pas un appauvrissement: comme ses personnages, la langue de Fosse est en retrait, en grève du brouhaha et de l’agitation du monde.

Montévidéo dans l’impasse

Drôle de dernière semaine au festival Actoral fondé par Hubert Colas en 2001 à Marseille. Dans la salle de Montévidéo, la performance de Grand Magasin, programmée samedi 14 octobre à 21h et intitulée “Comment commencer”, pourrait bien se transformer en “Comment finir”.

L’arbre à sang: traduire à l’oreille

Sur la scène des Plateaux Sauvages, trois actrices interprètent L’Arbre à sang, de l’auteur australien Angus Cerini, dans une mise en scène de Tommy Milliot. Entretien avec Dominique Hollier, l’une des trois comédiennes, mais aussi la traductrice de la pièce.