Jardin d’Éden ou jungle menaçante ? Sur la scène de l’Odéon, troncs, lianes, plantes carnivores et fleurs vénéneuses se disputent un enclos tropical à l’abandon, projection organique du chaos régnant dans la tête de Sébastien, le poète improductif dont la mort, soudain l’été dernier, obsède les personnages. Stéphane Braunschweig, qui signe la mise en scène de la pièce de Tennessee Williams a conçu ce décor au plus près de la description qu’en fournit l’auteur, assumant la métaphore –la forêt de l’inconscient– jusque dans sa dimension naïve.
Dans son spectacle, les personnages tournent dans cette forêt comme dans une cellule (derrière les feuilles et les branches, on aperçoit des murs carrelés de blanc) ; le jardin pourrait être aussi celui de l’asile où la jeune Catherine est enfermée ; et c’est également le lieu où le secret de famille – l’homosexualité de Sébastien – est enterré.
La révélation du secret – et des circonstances de la mort de Sébastien – menace l’ordre établi, sur lequel règne la riche Mrs Venable, la mère. La pièce et plus encore le film qu’en tira Joseph L. Mankiewicz en 1959, avec Katharine Hepburn, Liz Taylor et Montgomery Clift, tient du thriller freudien avec, dans le rôle de l’enquêteur, le docteur Cukrowicz, le jeune neuro-chirurgien, pionnier supposé de la lobotomie, qui se révèle en fait adepte de la psychanalyse, même s’il use d’un sérum de vérité pour faire surgir images, associations et souvenirs. Tennessee Williams n’aimait guère, paraît-il, le film dont il trouvait le dénouement beaucoup plus « normatif » – Catherine n’était pas folle, le médecin l’a sauvée, tout est bien qui finit bien – que celui de sa pièce .
Mais dans le film comme dans la pièce, la question de la vérité est centrale, et c’est ce qu’on entend aussi parfaitement dans le spectacle de l’Odéon, où les obstacles accumulés dans le jardin reculent et finissent même par disparaître, à mesure que la vraie histoire de Sébastien et de sa mort remonte à la surface. Contre le mensonge, la manipulation, le déni et le pouvoir de l’argent, l’établissement de la vérité est à la fois l’objectif et le garde-fou. Une vérité révélée au prix d’une parole douloureuse et libératrice, qui rend aux individus leur histoire. À la lumière de l’actualité, celle de l’Amérique de Trump, mais aussi celle des discours anti-psy, il est permis de trouver au texte de Tennessee Williams une pertinence politique inattendue (alors que sa dimension « scandaleuse », l’homosexualité, la perversité du rapport mère-fils, peut sembler plus datée).
Mais la pièce telle qu’elle est donnée à l’Odéon a d’autres vertus. Le film de Mankiewicz était dominé par l’interprétation de Hepburn en mère monstrueuse ; du spectacle de Braunschweig, fort bien joué dans l’ensemble, on retiendra la prestation de Marie Rémond, qui joue Catherine avec une flamme et une finesse douloureuse, jamais en force, à la lisière de la folie et de la rédemption tragique.
René Solis
Théâtre
Soudain l’été dernier, de Tennessee Williams, traduit de l’anglais par Jean-Michel Déprats et Marie-Claire Pasquier (texte à paraître dans le numéro d’avril 2017 de L’avant-scène théâtre), Odéon-Théâtre de l’Europe, jusqu’au 14 avril.
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