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| 26 Avr 2017

Le coin des traîtres : pièges, surprises, vertiges, plaisirs et mystères de la traduction…

Une soirée électorale, ça reste une soirée électorale. Avec des engueulades sensiblement plus multitudinaires que lors de précédentes élections, Facebook ou Twitter oblige. Des résultats annoncés à la télé, qu’on regarde même quand on n’a pas la télé, puisqu’on n’a plus besoin d’avoir la télé pour regarder la télé. Et puis déjà que « regarder la télé » c’était ringard, écrire « regarder la télé » ça vous classe dans une catégorie que seuls les fans de Charles Aznavour ne peuvent pas ne pas connaître. N’empêche que dimanche soir, ça faisait quand même du bien d’avoir les images. Parce que le son était un peu problématique. 

Personnellement, j’ai regardé la deux. Déjà, le présentateur m’a énervée vers 19h50 en me disant qu’il connaissait les résultats mais qu’il allait attendre 20 heures pour nous les annoncer. Nananananère… Ça se fait pas, c’est pas gentil. Mais bon, il a enfin été 20h. Et donc ça y est, on les connaît, les deux du deuxième tour. Enfin, connaître, c’est un grand mot. La deuze, oui, c’est vrai qu’elle commence à nous être familière et qu’on se dit que si elle parle on en profitera pour aller pisser. Mais le prem’s, moi, j’étais curieuse de savoir ce qu’il allait dire, surtout que franchement, il y a quelque temps encore, j’ignorais jusqu’à son existence. Bref, quand il a parlé, je l’ai écouté.

Et je n’ai pas été déçue.

Je me suis dit que si je devais résumer ce qu’il a dit, j’aurais du mal. Alors j’ai eu une idée : je vais traduire. Traduire, c’est un excellent exercice de compréhension. Parce qu’il y a une règle d’or en traduction : comprendre le sens avant de traduire les mots… sauf si ce que l’on traduit vaut pour autre chose que le sens des mots, mais là, pas de risque, on est dans du discours, de l’intelligible, du raisonné, du transmissible, pas de la poésie. Alors traduisons. Pour moi, ce sera en espagnol. Mais si vous connaissez d’autres langues, je vous invite à en faire de même.

Je commence.

« Voilà. »

Il a dit : « Voilà. »

Voilà quoi ?

Les Négresses Vertes chantent « Voilà l’été ».
D’autres préviennent : « 22, v’là les flics ».
Mais lui, le grand sphinx, il dit juste « Voilà ».

Et là, franchement, j’hésite. Comment traduire « voilà » ?

Deuxième règle d’or (disons que ce sont mes règles d’or et que je ne les impose à personne) : oublier le dictionnaire bilingue. Parce que traduire, c’est aussi faire des choix, et je ne laisse à personne le loisir de les faire à ma place. Donc place au Trésor de la langue française, qui nous dit que « voilà » est un « verbe défectif réduit à la forme unipersonnelle du présent de l’indicatif de l’aspect inaccompli ». D’accord. Et ce verbe – même si d’autres autorités y voient une préposition – « présente une personne ou une chose relativement éloignées du locuteur et, plus généralement, une personne ou une chose, proche ou éloignée, que le locuteur veut désigner ». Cela étant dit, cet éloignement doit être relativisé car « l’opposition entre voici et voilà tend à s’estomper : voilà, employé deux fois plus que voici, est employé même quand ce qui est désigné semble proche du locuteur. Dans l’opposition voici/voilà, voilà apparaît comme la forme non marquée, c’est-à-dire utilisable dans tous les cas. » Est-ce à dire que « voilà » ne veut pas dire grand-chose ? 

La définition ne s’arrête pas là, et si l’on replace « voilà » en opposition à « voici », alors « voilà » rappelle ce dont il vient d’être question. Soit Emmanuel Macron à La Tribune, souriant face à la foule qui scande « Macron président ». Et lui, il dit juste : « Voilà. » Deux fois. 

Et voilà le travail ?

C’est en effet ce que « voilà » semblait vouloir dire pour @emmanuelmacron sur Twitter le 20 avril dernier.
Et dimanche 23 avril itou. 

"Voilà": le traducteur d'Emmanuel Macron en langue des signesSur la chaîne France24, le traducteur anglais est formel : « There we go ». En espagnol, je me risque à un« Ya está » légèrement sur-traduit : voilà, ça y est, c’est fait, c’est plié. Sur le site de En Marche ! le traducteur en langue des signes a l’air un peu moins sûr de lui, incrusté dans son cartouche en bas à droite. Sauf que moi, je ne connais pas la langue des signes, alors cette traduction simultanée me laisse juste perplexe. Et il me semble que le traducteur lui aussi l’est un peu : quand il signe « voilà », j’ai l’impression qu’il nous dit qu’il a fait ce qu’il a pu, qu’il n’est pas complètement sûr d’avoir compris, ou qu’il n’est pas complètement sûr que « ça y est, c’est fait », ou qu’il n’oublie pas que ce n’est que le premier tour. Mais je m’égare, probablement. 

Christilla Vasserot
Le coin des traîtres

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