La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

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Silence, on danse
| 13 Déc 2016
SILENCE(S) à l’initiative de Dominique Dupuy, projet porté par le Théâtre National de Chaillot, prise de vues lors de la première de Tristan et Isolde du Ballet du Grand Théâtre de Genève, chorégraphie Joëlle Bouvier au Théâtre National de Chaillot le 23 mars 2016 © Patrick Berger

© Patrick Berger

Dans une société où l’on ne s’entend plus, où l’on ne nous entend plus, où les chut ! proférés par ceux qui ne supportent même plus le chant du coq rajoutent au brouhaha, il est temps de faire silence, d’entrer en silence, sans forcément en faire vœu. La danse a toujours et longtemps été associée à la musique qu’elle devait tantôt traduire sur scène (les comédies musicales), tantôt transcender (Le boléro de Ravel). Puis il y eut des rebelles qui coupèrent le son. Et des interprètes qui, même s’ils dansaient sur la musique d’un compositeur, imposèrent la leur. Quant à Cunningham et Cage, ils ont déclaré l’indépendance, chacun composant dans son coin, faisant confiance au hasard, à l’aléatoire lorsque danse et musique se rejoignaient le soir de la première. Dans le genre facétieux, Cage est allé loin, proposant une pièce 4’33 pour piano puis orchestre où la partition est jouée sans qu’aucun son ne soit émis des instruments, la musique provenant donc des gestes du musicien et de l’environnement. 

C’est ce silence, ce sont ces silences qui ont toujours habité Dominique Dupuy, chorégraphe et danseur, pionnier de la danse moderne d’après-guerre puis contemporaine en France. Il est à l’initiative d’un programme, pensé avec la collaboration du Collège international de philosophie, un projet porté toute cette saison par le Théâtre national de Chaillot en partenariat avec de nombreuses structures culturelles. L’affaire est sérieuse car le silence est partout un enjeu, ne s’opposant pas forcément au bruit ni à la parole ni à la chorégraphie. C’est donc dans un joyeux brouhaha (ou plus ou moins) que l’on pourra suivre des débats, des interventions ou des pièces présentés par de nombreux chorégraphes. “L’image la plus forte que nous avons du silence, précise Dominique Dupuy, c’est celle du silence de mort, c’est aussi la plus commune. Peut-être faut-il chercher ce qui serait un silence de vie, des silences de vie.”

Ce silence, il l’entend lorsque sa femme et complice, Françoise Dupuy, danse : “elle a cela en elle, dit-il, l’art du silence dont la danse est pétrie”. Comme Gérard Philipe dans Sodome et Gomorrhe de Jean Giraudoux, Jean-Louis Barrault au début du film de Marcel Carné Les Enfants du paradis, Claude Régy et bien sûr Beckett dont les écrits jalonnent le parcours du chorégraphe – il a mis en scène et danse Acte sans paroles.  Ce silence, il l’a entendu en étant sur scène. Il raconte : “en 1957, je dansais dans le ballet de Deryk Mendel, Épithalame, sur la musique de Messiaen qui eut un grand succès. Mais Messiaen décida de retirer le droit de danser sa musique, prétendant qu’elle n’est pas faite pour les hommes mais pour les anges !’ (propos sur lequel il reviendra en partie). Être avec la musique à cette époque était courant mais le silence non. Cela nous demandait un engagement, une écoute, une disponibilité autres.”

Côté pile, l’homme qui ferme les yeux pour mieux vous parler, ressemble à un bourgeois éclairé. Côté face, il est toujours le militant de la première heure, éducation pour tous, éducation populaire, lui qui sillonna avec Françoise Dupuy les villages les plus reculés de France pour y donner des spectacles dans des salles chauffées encore au charbon. “Dans ce programme, on considère que le silence est moteur de l’action. Le silence, ce n’est pas arrêter de faire du bruit, ce n’est pas une absence de sons. Je pars de l’idée inverse, du silence où viennent s’inscrire des sons”. Quant à la minute de silence, elle sera décryptée, comme bien d’autres silences imposés (en mars dans une conférence de Patrick Boucheron, historien et professeur au Collège de France).

Le 3 décembre dernier, sous la protection de la “servante”, cette lampe qui reste allumée en permanence sur les scènes de théâtre, c’était jour de silence à Chaillot : on a passé une journée de pratique et de “leçon” avec le philosophe Jean-Luc Nancy et le chorégraphe Abou Lagraa. Prochain rendez-vous le 16 janvier au Théâtre national de la Colline à Paris avec une soirée, présentée par Blandine Masson, consacrée à Alain Trutat, fondateur de France Culture

Marie-Christine Vernay

 

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