À la Fondation Cartier, les visiteurs de l’exposition Beauté Congo – 1926-2015 – Congo Kitoko découvrent dès l’entrée les “peintres populaires” (comme ils se sont eux-mêmes revendiqués dans les années 70) et leurs fils (car les femmes sont presque totalement absentes de cette scène picturale). La plupart des artistes, en rupture avec l’académie, ont fait leurs armes en peignant des enseignes publicitaires ou en pratiquant la BD, et ça se voit. Pierre Bodo peint des personnages mi-hommes, mi-bêtes curieusement chaussés. Chéri Samba grossit le trait d’un kadogo, un enfant soldat, et croque les hommes politiques, de même que le plus jeune peintre, JP Mika (35 ans), dont le tableau La Sape rappelle la force sociale de la Société des Ambianceurs et Personnes Elégantes, qui s’opposa à l’uniforme prôné par Mobutu. Monsengo Shula, de la deuxième génération des peintres populaires, maîtrise un tout autre style. Il peint des hommes et des femmes technologiquement modifiés, avec cartes à puce et ordinateurs intégrés, et se pique parfois de chasser les moustiques, dans une scène vraiment comique (en dépit des ravages du paludisme).
La nouvelle génération garde cet humour dévastateur. Elle se cherche, et trouve dans le collectif un moyen de s’imposer, proposant des œuvres qui mêlent la BD, le graphisme et la peinture. Créé en 2003, Eza Possibles, l’un de ces collectifs, qui propose par ailleurs des interventions urbaines et des performances, déclare : “L’esprit d’équipe, c’est comme la ferraille. Tant que c’est séparé, ça ne fait rien. Mais quand on rassemble, quand on soude, ça fait quelque chose.” Comme ça fait quelque chose dans la salle en sous-sol, plutôt dédiée à la première moitié du XXe siècle et à la photographie. Sammy Baloji, dans sa série Congo Far West, accole des photos d’archives d’une expédition scientifique belge au Katanga (1898-1900) à des aquarelles du peintre belge Léon Dardenne (1865-1912). Un regard critique comme tant d’autres dans cette exposition touffue qui balaie large au risque d’en faire trop… André Magnin, le commissaire général, marchand d’art et amoureux du Congo, a voulu convaincre les visiteurs de l’effervescence artistique kinoise. On ne lui en veut pas, surtout lorsque l’on tombe sur Le général-major (gouache sur papier), personnage qui glace en faisant corps avec son perroquet.
L’idée efficace est d’avoir associé un parcours musical, signé Vincent Kenis et Césarine Sinatu Bolya, qui renvoie aux thématiques des tableaux. Beaucoup, comme le photographe Oscar Memba Freitas ou le plasticien Steve Bandoma, font un retour sur “le combat du siècle” qui opposa Muhammad Ali à George Foreman et resta dans la mémoire collective. Certains l’ont chanté, comme aujourd’hui DJ Tchat Cho Muluba, sur la danse mulunge qui dresse le portrait de “kin la belle, kin la poubelle”. Mais plus que les couleurs et les sons, on gardera en mémoire un tableau étrange d’un des pionniers de la peinture populaire : Moke. On y voit dans un brun olivâtre une paire de godasses défraîchies, plus une godasse solitaire. Quels corps les ont chaussées ? Où ont-ils disparu ? Pourquoi ne reste-t-il que les pompes en fichu état ? Une énigme qui foule chaque jour les rues de Kinshasa.
Marie-Christine Vernay
Le billet de Marie-Christine Vernay sur Radio Bellevue / MCV Kultur :
Toujours sur Radio Bellevue, un entretien avec Pierre Loos :
Beauté Congo – 1926-2015 – Congo Kitoko, jusqu’au 15 novembre 2015 à la Fondation Cartier pour l’art contemporain, 261 boulevard Raspail, 75014 Paris. L’exposition est ouverte tous les jours sauf le lundi, de 11h à 20h. Nocturne le mardi jusqu’à 22h.
L’exposition est prolongée jusqu’au 10 janvier 2016. [m.à.j. 12 / 11/ 2015]
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