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Anaïs Charras, graveuse
| 01 Juin 2023

La première fois que j’ai rencontré Anaïs elle exposait ses dessins dans une petite galerie perdue dans le XXème arrondissement de Paris. J’aimais beaucoup son travail et me promettais de suivre son évolution. Je me dis toujours que le dessin est un parent proche de la photographie, le cousin qui ose dire ce que le réel sorti de l’appareil de prise de vue ne peut pas dire. Je la regardais comme à l’orée du bois et je savais qu’Anaïs passerait à la gravure. Pour le photographe on dit aussi qu’il passe au numérique, ce qui vaut mieux que de passer l’arme à gauche… 

La gravure c’est tout un vocabulaire pour décrire les différentes techniques d’impression en creux. On grave sur une plaque de cuivre dans la plupart des cas. La conversation avec Anaïs, (Miaou! Oui ma beauté – son chat) tourne vite à la description technique, l’intérêt comparé du burin et de la pointe sèche. Cela me fait penser aux photographes qui ne savent parler que matériel quand ils rencontrent un confrère. Mais je vois le burin, ses facettes d’acier qu’il faut affuter sur la pierre huilée, le geste qui me paraît très sec creusant un fin sillon pendant qu’Anaïs tourne la plaque de cuivre posée sur un coussin de tissu.

La rotation pour la courbure du trait. Mais le geste n’est pas sec, il est doux, si doux qu’Anaïs me parle des barbes qui se forment au bord du sillon de son trait, des barbes qu’elle atténue d’un revers de doigt. Avec la pointe sèche on peut atténuer le trait au moyen du brunissoir. Le burin ne pardonne rien. C’est ce qui rend Anaïs si heureuse d’avoir à trouver comment corriger ce qu’elle imagine erreur de trait. Et j’aime photographier ses mains avant de tenter le portrait avec chat.

Le poil de chat devient conversation quand nous passons dans l’autre pièce, autrefois cuisine devenue laboratoire, imprimerie. Ici tout devient possible, l’acide pour l’eau forte et surtout la presse. Une belle presse qu’il a fallu monter par morceaux au troisième étage, si lourde que le livreur l’avait abandonnée sur le trottoir…

Anaïs évoque le travail délicat d’imprimer sur un papier de chine extrêmement fin qu’elle collera après sur la feuille de velin, le chine apportant une légère teinte au support sans vergeure (1). Les graveurs, les artistes sont comme les imprimeurs confrontés aux augmentations du prix des papiers et pire de leur raréfaction.

Nous parlons projets, marché, galerie. Choisir le dessin, la gravure c’est devoir accepter de travailler deux jours par semaine dans un cinéma d’art et d’essai, bien évidemment. Au cinéma comme à tout instant Anaïs Charras pense gravure, toujours faire mieux, perfectionner sa perfection.

(1) Vergeure: fils de laiton, très serrés et parallèles, dont l’ensemble constitue une sorte de toile métallique destinée à retenir la pâte dans la fabrication du papier à la main. Le papier vergé porte les marques de vergeure.

Prochaines expositions:
Journées de l’estampe contemporaine de Saint Sulpice, Paris,12 et 13 juin 2023- 10ème salon de la gravure du manoir de Kerazan, Loctudy (29), du 15 au 17 septembre 2023- « Impressions », Espace d’Art Chailloux, Fresnes (94), janvier / février 2024
Anaïs Charras est représentée par la Galerie Nathalie Béreau (Chinon – Paris)
Gravures et dessins
© Anaïs Charras
Photos © Gilles Walusinski

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