Il n’y pas foule dans la salle transformable du théâtre de Nanterre-Amandiers, et il n’est pas sûr que le bouche à oreille la remplisse d’ici la fin des représentations (le 22 janvier). Pas sûr non plus que le spectacle d’Hubert Colas, Une mouette et autres cas d’espèces, fasse le plein au théâtre Paul Éluard de Choisy-le-Roi où il est programmé le 26 janvier. Pourtant, la scénographie est inventive, les acteurs talentueux, et la mise en scène d’Hubert Colas ne verse jamais dans la médiocrité.
Alors, qu’est-ce qui ne marche pas ? Le fond même du projet. Au départ, le metteur en scène a demandé à sept auteurs de réécrire un acte de La Mouette de Tchekhov. Mais l’assemblage laisse dubitatif. Au cinéma, les films à sketches mobilisant plusieurs réalisateurs chargés de filmer chacun un épisode autour d’un thème commun sont rarement une réussite. Ici, la juxtaposition ne convainc pas non plus. Sans compter qu’un obstacle majeur se dresse d’entrée : si l’on ne connaît pas parfaitement la pièce de Tchekhov, il est compliqué de comprendre ce qui se joue sur scène. Certes, le metteur en scène pourra toujours rétorquer que la pièce de Tchekhov commence justement par une incompréhension de ce type : Arkadina et Trigorine « ne comprennent rien » à la pièce que Treplev a écrite. Pas sûr qu’il soit nécessaire pour autant de braquer une partie du public.
Ceux qui connaissent la pièce de Tchekhov ne seront pas forcément beaucoup plus à l’aise. À la fin de chacun des quatre actes se rejoue la scène finale : le coup de feu par lequel Treplev se suicide. Sauf que la victime est à chaque fois un personnage différent, ce qui est une façon comme une autre de rebattre les cartes, ou de tourner en rond. Les différentes réécritures oscillent entre paraphrase du texte de Tchekhov, exagération et détournement ; aucune ne s’aventure sur la voie de la franche dérision, à une exception. Hilarant et obscène, le texte de l’Espagnole Angélica Liddell, présenté en prologue, est un long cri de haine, à partir de la « nausée » que suscite en elle la moindre évocation de La Mouette : « La première chose que je me suis dite, lorsqu’un inconnu m’a commandé un texte sur La Mouette de Tchekhov, c’est : Mon Dieu, quel metteur en scène intelligent peut bien avoir l’idée de monter une pièce dans laquelle les personnages font du théâtre, parlent de théâtre, chient du théâtre, pissent du théâtre, vomissent du théâtre, vivent pour le théâtre, tout ça pour finir par se rendre compte que la vie vaut mieux que le théâtre, et que le théâtre n’est peut-être pas le plus important, car ce dialogue merdique permanent entre le théâtre et la vie, ce gavage théâtral me fait l’effet d’un canard dont on regarderait le ventre gonfler au bout d’un entonnoir pour ensuite transformer le viscère malade en un mets exquis, la redondance me donne la nausée. » Le tout allant crescendo, via un récit d’essayage de godemichets pour un prochain spectacle, avant une dernière salve : « Voilà pourquoi je déteste La Mouette, parce que je suis peut-être moi-même fatiguée de me suicider sur scène encore et encore, de faire de la scène ma prison et mon asile de fous, encore et encore, sans faire couler la moindre goutte de sang, sans action à l’état pur, suicidaire sans suicide, destructrice sans destruction, j’ai peut-être besoin de détruire pour de bon.«
Sauf que la drôlerie féroce de ce prologue est en partie désamorcée par le choix de son interprète. L’actrice lituanienne Vilma Pitrinaite a du talent et le montre dans la suite du spectacle, mais lui confier en ouverture un monologue pareil en français n’est pas un cadeau : son accent oblige à concentrer toute l’attention sur sa prononciation ; et l’effort pour déchiffrer les mots en édulcore le sens.
Rien à sauver donc ? Si, un charme opère, qui tient à la fluidité du dispositif scénique et à la capacité des acteurs à traverser leurs rôles, comme s’ils jouaient à cache-cache avec les fantômes de leurs personnages. L’essentiel de la scénographie est constituée de fauteuils anglais en cuir montés sur roulettes que les comédiens téléguident comme des autos tamponneuses, en privilégiant l’esquive au choc. La piste est un salon poétique où rien n’est jamais figé et où les mots qui grésillent sont presque de trop.
Oublier La Mouette, c’est ce qu’Hubert Colas n’a pas osé faire, mais qui lui aurait peut-être permis de bâtir le spectacle qu’il laisse entrevoir. Le metteur en scène et ses acteurs auraient tort de se décourager. Ils n’ont rien des « maudits théâtreux, fastidieux théâtreux, stupides théâtreux poussiéreux, endogames, hystériques, vaniteux, ignorants, larmoyants, bruyants, insupportables, décadents, vieux dès vingt ans, morts à quarante, alcoolisés, angoissés, accablés » fustigés par Liddell.
René Solis
Théâtre
Une mouette et autres cas d’espèces, libre réécriture de La Mouette de Tchekhov par Édith Azam, Liliane Giraudon, Angélica Liddell, Nathalie Quintane, Jacob Wren, Annie Zadek, Jérôme Game, mise en scène d’Hubert Colas, Théâtre de Nanterre-Amandiers (92000) jusqu’au 22 janvier. Au Théâtre Paul Éluard de Choisy-le-Roi (94600), le 26 janvier.
Auteur, metteur en scène, scénographe, fondateur du festival Actoral, Hubert Colas poursuit depuis 2001 à Montevideo, le lieu de résidence et de création qu’il a fondé à Marseille, un travail majeur qui mériterait une bien plus solide reconnaissance. Aujourd’hui, l’existence de Montevideo est menacée. Une pétition est en ligne pour éviter la disparition d’un lieu, d’une aventure indispensables.
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