“Le Gouffre aux Séries”: une plongée bimensuelle dans soixante ans de feuilletons et de séries à la recherche des perles rares et de leurs secrets de fabrication.
Il y a des séries de légende, et puis il y a, au sein de ces séries, des épisodes légendaires qu’on garde en mémoire pour leurs exploits techniques, leur habileté de scénario, les surprises qu’ils réservent ou bien la performance de leurs acteurs.
Si l’expression coup de théâtre a un sens, celui-ci ne peut mieux s’illustrer que dans la sixième et dernière partie de la formidable série documentaire The Jinx, diffusée en 2015 par HBO. L’histoire : l’homme d’affaires new-yorkais Robert Durst, secret et fantasque, est soupçonné de trois meurtres, dont celui de sa femme, pourtant la justice n’arrive pas à le coincer. En 2010, le cinéaste Andrew Jarecki réalise un film de fiction sur la vie de Durst. Ce dernier apprécie le film, contacte Jarecki pour lui proposer une interview. S’ensuivent une vingtaine d’heures d’entretien et, parallèlement, une longue enquête du cinéaste qui parvient à dénicher des éléments nouveaux sur les meurtres. Lors d’un ultime entretien filmé, Jarecki présente ces éléments à Durst. Mal à l’aise, l’homme d’affaires s’absente aux toilettes encore équipé du micro-cravate utilisé pour l’interview et se met à marmonner pour lui-même, ignorant qu’il est enregistré : « Et merde, qu’est-ce que j’ai fait ? Je les ai tous tués, bien sûr ». Durst est arrêté la veille de la diffusion de cette confession. De témoin, le documentaire est devenu acteur et le dénouement s’est joué sous nos yeux. Robert Durst sera condamné à la prison à perpétuité en octobre 2021 et mourra à l’hôpital trois mois plus tard.
Des épisodes de séries de fiction peuvent avoir un retentissement presque aussi spectaculaire. Prenez la dix-septième et dernière partie de la série britannique Le Prisonnier, diffusée en 1967 et 1968. Après avoir démissionné, un agent secret joué par Patrick McGoohan se retrouve prisonnier d’un étrange village. Il y perd son identité et devient le « numéro 6 ». La série évolue entre le roman d’espionnage, le drame psychologique et la science-fiction. Mais c’est d’abord une grande allégorie au moment où la société voit déferler la contre-culture. Si McGoohan est le numéro 6, qui est le numéro 1 ? L’ultime épisode , que tout le Royaume-Uni attendait avec fébrilité, donnera de manière assez confuse une réponse surprenante à la question : le 1 et le 6 sont une même et même personne, c’est-à-dire que chaque homme est prisonnier de lui-même. Le public attendait un dénouement de thriller, or McGoohan, scénariste et réalisateur de ce dernier épisode, lui livre de la philosophie en kit. Les spectateurs sont furieux, certains agressent même McGoohan dans la rue, si bien que celui-ci est obligé de s’isoler quelque temps. Il continuera sa carrière aux États-Unis où il mourra en 2009, restant à jamais le très élégant numéro 6.
Plus anecdotique, mais non moins jouissif, est le quatrième épisode de la première saison de The Wire. Cette série américaine de HBO a connu cinq brillantes saisons de 2002 à 2008, marquant l’histoire du genre par sa capacité à rendre haletante des plongées quasi documentaires dans la ville de Baltimore : ses trafics de stupéfiants, l’organisation de son port, sa bureaucratie municipale, les dérives de son système scolaire et enfin le fonctionnement de ses médias. Le fameux épisode est devenu célèbre pour une scène de quatre minutes lors de laquelle deux détectives — joués par Dominic West et Wendell Pierce — inspectent une scène de crime en n’échangeant que ces seuls mots répétés à l’envi : fuck, motherfucker, fuck me. Il ne s’agit pas à proprement parler d’un dialogue mais de la ponctuation du dialogue muet qui s’établit entre les deux flics, celui du cheminement parallèle de leur réflexion. C’est à la fois très drôle, très efficace et, pour youtube, très grossier, puisque le site a jugé opportun de limiter la diffusion de cet extrait aux personnes majeures.
Antiquités
La vieille série d’anthologie Alfred Hitchcock Presents contient nombre de joyaux mais le plus fascinant est sans doute l’épisode The Man from the South, adapté d’une nouvelle de Roald Dahl, qui fut diffusé aux Etats-Unis en 1960. À Las Vegas, un joueur au bout du rouleau (Steve McQueen) est mis au défi par un inconnu (Peter Lorre) : s’il parvient à allumer dix fois de suite son briquet sans le moindre raté, il gagnera une voiture de luxe. Dans le cas inverse, l’inconnu lui tranchera le petit doigt. Cette histoire, tout en simplicité, précision et suspens, nous est contée en trente petites minutes effrayantes. Si vous voulez voir comment elle se termine, c’est d’abord ici:
puis là :
Même une série apparemment aussi convenue que Columbo, avec Peter Falk et sa Peugeot 403, recèle d’agréables surprises. Cela peut être des guest stars comme John Cassavetes ou Patrick McGoohan, croisé plus haut. Mais aussi Steven Spielberg, tout jeune à l’époque (24 ans), puisque celui-ci a réalisé en 1971 le premier épisode de la première saison à partir d’un scénario de Steven Bochco, lequel deviendra par la suite le producteur de plusieurs séries à succès comme La Loi de Los Angeles. Le moins que l’on puisse dire est que ce pilote de la série, titré Murder By The Book, avait envoyé l’entreprise sur de bons rails.
Le tour de force le plus récurrent dans les séries est l’épisode tourné en plan-séquence (filmé en continu ou en donnant l’impression). Mais de ceci, nous parlerons une prochaine fois.
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