Insultologie Appliquée. La Terre se réchauffe, les esprits s’échauffent, les chefs d’État s’injurient : l’insulte est l’avenir d’un monde en décomposition. Chaque semaine, la preuve par l’exemple.
Il vous a peut-être échappé que, le 1er janvier, la Croatie a succédé à la Finlande à la présidence du Conseil de l’Union européenne. Que le 15, le Premier ministre de Russie Dmitri Medvedev a démissionné. Que le 31 Gibraltar est sorti de l’Union européenne. Que le 6 février, une température de 18,3°C a été enregistrée à la base Esperanza dans l’Antarctique.
Mais il ne vous a pas échappé que, en France, le réseau Twitter est devenu la première arène politique, loin devant les chambres parlementaires. Des textes de quelques dizaines de signes et des vidéos de quelques dizaines de secondes orientent les débats, font et défont les carrières, Benjamin Griveaux en sait quelque chose.
La semaine dernière, c’est la réforme des retraites qui est sortie en vrac du réseau social. Y furent d’abord relayées une vidéo de femmes parlementaires dansant près de l’Assemblée contre la réforme
A CAUSE DE MACRON✊🏼
Avec @ManonAubryFr @ElsaFaucillon @Clem_Autain @TrouveAurelie
Nous les femmes, toutes contre cette #réforme des #retraites injuste !
Nous les femmes, on ne se laissera pas faire.
Vive les #filles pour renflouer la #caisse pour les #grévistes !#kollekthon pic.twitter.com/UyKtmC24CT— Esther Benbassa 🌻 (@EstherBenbassa) February 17, 2020
et la jolie phrase de l’anarchiste féministe Emma Goldman : “Si je ne peux pas danser, ce n’est pas ma révolution”. Puis il y eut un tweet du député UDI Meyer Habib traitant ces femmes (dont Clémentine Autain et Esther Benbassa) de “petites connes” :
Puis la réponse des intéressées :
Hier, le député @Meyer_Habib nous traitait ici de « petites connes » parce qu’avec @ElsaFaucillon, @ManonAubryFr et @EstherBenbassa, nous avons dansé contre la réforme des #retraites. Ce matin, il nous insulte à nouveau en hémicycle. Nos réactions 👇 pic.twitter.com/48i65hzQKD
— Clémentine Autain (@Clem_Autain) February 20, 2020
Et c’est ainsi que la vie politique française s’est enrichie d’une nouvelle “séquence”, comme on dit maintenant. Lesquelles séquences ressemblent de plus en plus aux résumés de matchs de foot que l’on diffuse au soir des rencontres, jusqu’au vocabulaire même.
Comme le signale l’Académie française, “con” renvoie à 1. N.m. Vulgaire. L’organe sexuel de la femme. 2. N. Fig. et très vulgaire. Une personne sottement passive, imbécile, idiote, par comparaison dépréciative, héritée de la tradition latine, avec l’activité virile. “Bien que cet emploi figuré apparaisse dans les correspondances littéraires dès le XIXe siècle et que l’usage parlé s’en soit fort répandu, il ne doit être employé que dans une intention de vulgarité appuyée”, tient à souligner le quai Conti.
Petites connes ? Il est trop tard pour regretter une telle condensation du débat politique. Mais il est encore temps de se demander ce qu’il serait resté des grandes confrontations parlementaires d’hier (c’est-à-dire d’avant Internet) si elles étaient passées à la moulinette Twitter. Le beau discours de Victor Hugo sur la misère (juillet 1849) ? Sans doute quelques mots : “Messieurs, songez-y, c’est l’anarchie qui ouvre les abîmes, mais c’est la misère qui les creuse. Vous avez fait des lois contre l’anarchie, faites maintenant des lois contre la misère !”, et cette image : Mouvement prolongé sur tous les bancs, l’orateur descend de la tribune et reçoit les félicitations de ses collègues.
C’eût été très chiant, non ?
Édouard Launet
Insultologie appliquée
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