La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

14 – En finir ou pas
| 13 Mar 2023
“Le Gouffre aux Séries”: une plongée bimensuelle dans soixante ans de feuilletons et de séries à la recherche des perles rares et de leurs secrets de fabrication.

Il y a trois sortes de séries :  celles qui se sont terminées trop tôt, celles qui n’en finissent plus et celles qui n’auraient jamais dû commencer. La dernière est de loin la plus fournie. 

Les séries qui n’en finissent plus forment une classe tout à fait singulière. Quand un feuilleton s’étale sur des décennies, ce n’est plus un feuilleton mais un élément du paysage. Le Royaume-Uni s’est fait une spécialité de ces soap operas increvables. Coronation Street est diffusé sur le réseau ITV depuis décembre 1960, ce qui en fait le plus vieux feuilleton du monde. Il est suivi par Emmerdale diffusé sur la même ITV depuis le octobre 1972, et par Eastenders diffusé par BBC One depuis février 1985. Ces trois soap operas sont campés dans des milieux populaires et ont la forme de chroniques de l’air du temps. Les Britanniques sont nés, ont vieilli et pour certains sont morts avec les personnages de ces feuilletons. Les Américains, eux, ont eu Guiding Lights (Haine et Passion en VF), dont CBS a nourri son antenne de 1952 à 2009, soit un total respectable de 57 saisons. Quant à la France, elle a eu son lot de Commissaire Moulin et autre Le Juge est une femme, sur lesquels il n’y a pas lieu de s’apesantir.

Les séries qui se sont arrêtées trop tôt se comptent sur les doigts des deux mains, voire d’une seule. Parmi les plus récentes, The Good Fight. C’était une chronique réjouissante de la dérive droitière des Etats-Unis vue à travers les affaires d’un cabinet d’avocats de Chicago : excellente écriture, personnages attachants, vrai propos politique (de gauche) et bonne dose de fantaisie. Diffusée via les plateformes de streaming de CBS puis de Paramount, la série vient de s’arrêter au terme de six saisons à la qualité croissante. La dépression post-série qui afflige ses aficionados conduira-t-elle les show-runners (Robert King et Michelle King) à en remettre une dose ? Il pourrait s’agir d’un impératif de santé publique.
La série d’anthologie American Crime (2015-2017, ABC) était tellement bonne et exigeante qu’elle a été liquidée par son diffuseur au bout de trois saisons, chacune étant consacrée à l’analyse de crimes d’ordre racial, social ou politique. C’est une honte. Autre scandale, la fin programmée de l’épatante Succession dont la quatrième saison sera bientôt diffusée et qui n’en aura donc pas de cinquième. L’épouvantable famille Roy va nous manquer épouvantablement.
Mais le scandale le plus retentissant, c’est la vie trop brève de l’immarcescible Le Prisonnier, qui n’a connu que dix-sept épisodes entre 1967 et 1968 alors qu’on en aurait bien pris cinquante ou cent. La consolation, c’est que cela peut se regarder en boucle pendant des années : le village-prison des anciens espions reste ainsi bel et bien ouvert, c’est-à-dire que nous y restons enfermés. Au moins n’aurons-nous pas vieilli avec ses personnages car Patrick McGoohan restera éternellement jeune.

La série que vous êtes en train de lire restera elle aussi jeune et pimpante pour l’éternité puisqu’elle s’arrête aujourd’hui. Mon chat, qui aime s’allonger sur mon clavier, la classe parmi les séries qui n’auraient jamais dû commencer.
Il semble opportun pour ce dernier épisode de donner en vrac nos préférences, les miennes et celles de mon chat. Voici donc notre palmarès.

Dans la catégorie séries classiques sont nommés : The Good Fight, Euphoria, Succession, Downton Abbey, Les Shtisel, The Haunting of Hill House, Severance, Unbelievable, Our Boys, Breaking Bad, The Wire, Better Call Saul, This is going to Hurt, Shameless.
Dans la catégorie mini séries : Landscapers, Show me a hero, Dopesick, Le Prisonnier.
Dans la catégorie formats courts : The Bear, The Thick of It, The Twilight Zone, Transparent.
Dans la catégorie séries d’anthologie : Black Mirror, American Crime, American Crime Story, True Detective.
Dans la catégorie documentaires : The Jinx.
Dans la catégorie séries méconnues : Olive Kitteridge, The Looming Towers, Defending Jacob, Two Summers, Appropriate Adult.
Prix spécial délivré par mon chat : Téléchat, de Roland Topor.

0 commentaires

Soumettre un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Dans la même catégorie

13 – L’art et la manière

D’une série, on connaît souvent les acteurs et les créateurs, plus rarement les réalisateurs, et jamais le directeur artistique. Or cette dernière fonction est essentielle. L’esthétique d’une série ne se résume pas aux décors et aux costumes, c’est une question d’atmosphère globale, chose impalpable qui impressionne la rétine à chaque plan.

12 – L’éros des héros

Les bonnes séries sont de formidables fabriques de héros. D’épisode en épisode, d’aventure en aventure, on finit par tout connaître d’eux. Ces êtres chimériques sont de parfaits compagnons, presque des amis, même si l’on sait que ce ne sont que des marionnettes dont les fils sont tenus par des armées de scénaristes.

11 – Affaires de famille

Les histoires de famille tournent mal en général. Surtout dans les séries américaines. Il y a mille manières de détruire un foyer et autant d’entretenir un brasier, ce qui fait que les séries familiales alignent un nombre conséquent de saisons.

10 – Pour lendemains de cuite

Mal écrites, mal jouées, mal réalisées: ce sont les séries nanars. Il faut en voir quelques-unes pour mieux apprécier les autres. On ne va pas nécessairement jusqu’au bout de la première saison, ni même du premier épisode parfois, mais il est possible d’y prendre un plaisir pervers un lendemain de cuite…

9 – Dystopies

Il reste peu de monde pour prédire que l’avenir sera rose puisqu’il risque fort d’être chaud, affamé, effondré, triste, électroniquement surveillé et populiste. Ceci étant posé, il est utile de savoir précisément à quoi s’attendre. Les séries dystopiques nous y aident.