Il y a ces jours-ci deux excellentes raisons de grimper sur le toit de la Grande Arche de la Défense, réouvert au début du mois. D’une part on y respire un peu d’air frais en profitant d’une vue époustouflante sur Paris et la région parisienne. D’autre part – et cette part-là est encore plus spectaculaire – est présenté à l’Arche du Photojournalisme, vaste espace d’exposition qui vient d’être créé juste sous le toit, le travail fascinant de Stephanie Sinclair. Cette photographe américaine a passé près de quinze ans à documenter une atrocité silencieuse : les mariages forcés de fillettes, une pratique qui sévit de l’Afghanistan aux États-Unis, du Népal à l’Éthiopie, de l’Inde au Yémen (au total une cinquantaine de pays), et qui touche des milliers d’enfants… chaque jour.
Pour Stephanie Sinclair, tout commence en 2003 lorsqu’elle constate qu’en Afghanistan certaines fillettes préfèrent s’immoler plutôt que d’être mariées de force (dès l’âge de neuf ans !) à des hommes beaucoup plus âgés. Son oeil commence alors un long combat. Et quel œil ! Ses images sont d’une beauté tout à fait proportionnelle à l’intensité des drames dont elles rendent compte. Le regard est saisi, puis il se porte vers les “cartons” accompagnant les photos, et c’est ainsi que l’on découvre l’ampleur et l’horreur de ces unions forcées qui voient 39 000 filles mariées chaque jour contre leur gré (une toutes les 2 secondes !). L’image a fait son travail. Mais ce n’est pas tout : après avoir publié ses reportages dans divers magazines, dont National Geographic, Sinclair a créé une ONG, Too Young To Wed, pour défendre protéger les droits des petites filles et empêcher les mariages d’enfants. Elle a depuis acquis de nombreuses personnalités à cette cause.
Bizarrement, le travail de Stephanie Sinclair n’avait jamais été présenté en France, en dehors d’une expo en 2012 à Perpignan dans le cadre du Festival Visa pour l’Image que dirige Jean-François Leroy. Qu’on le retrouve à l’Arche du Photojournalisme (mais cette fois via une expo bien plus étoffée : 175 magnifiques tirages et des reportages vidéos) n’est pas un hasard : ce nouvel espace permanent dédié à la photo a été confié à Leroy, qui présentera ici des images plus axées sur l’actu que ne le font les autres espaces parisiens (le BAL, la Maison européenne de la Photographie ou encore le Jeu de Paume), avec pour objectif d’être le plus réactif possible aux événements qui secouent la planète spectaculairement ou plus discrètement. Chaque trimestre sera programmée une exposition d’une figure majeure ou d’un jeune talent. Il y aura également des rétrospectives et des conférences, le tout sur 1200 m2 perchés dans le ciel.
En parallèle à l’expo « Too young to wed » est ainsi présenté un hommage au grand Stanley Green, décédé le mois dernier. En septembre, c’est le travail de Eugene Richards qui succédera à celui de Stephanie Sinclair.
Bien sûr, il faudra aller jusqu’à la Défense et acquitter une somme non négligeable (19 €) pour grimper sur le toit. Mais pour ce prix-là, l’œil aura droit à une double vision panoramique : sur Paris et sur le monde tel qu’il va.
Édouard Launet
Photographie
« Too Young To Wed – Mariées trop jeunes » de Stephanie Sinclair à l’Arche du Photojournalisme, jusqu’au 24 septembre. Ouvert tous les jours de 9h30 à 18h30. Tarifs : 15 € pour l’accès au toit de la Grande Arche, et 4 € pour l’expo.
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