Si la révolution n’est pas un dîner de gala, elle peut être une pièce de musée. Dans le département de Meta, à 300 kilomètres au sud de Bogota, El Borugo, l’un des principaux campements des FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie), où fut notamment détenue Ingrid Betancourt, a été transformé l’année dernière par l’armée colombienne, après les accords de paix, en lieu de mémoire. Des soldats y jouent le rôle des guérilleros, d’autres celui des otages, le tout dans un but pédagogique. « Pour qu’aucun citoyen ne subisse à nouveau l’expérience de la captivité, il faut que les Colombiens connaissent l’histoire de El Borugo », explique le major Javier Lozano, responsable du musée et des visites guidées.
La visite guidée de El Borugo, Rolf et Heidi Abderhalden, fondateurs du Mapa Teatro de Bogota, l’ont effectuée il y a quelques mois en compagnie d’autres membres de la troupe. Le film qu’ils ont tourné à l’occasion constitue même le point de départ de La Despedida, le spectacle qui clôt une trilogie consacrée à la violence dans leur pays. À partir de là, on pourrait imaginer une pièce à caractère documentaire, nourrie des témoignages de ceux – soldats, otages, guérilleros – qui ont contribué à la vraie histoire de El Borugo. Sauf que le théâtre documentaire « si politiquement correct et tellement à la mode en Occident ces dernières années », estiment-ils dans un entretien publié dans le programme, n’est pas leur axe de travail. Leurs recherches théâtrales, expliquent-ils, renvoient plutôt à la notion d’ethno-fiction. Le matériau de départ faisant l’objet d’un traitement poétique, où associations et digressions tiennent une large place. Cela fonctionnait remarquablement pour Los Santos inocentes, le premier volet de la trilogie, qui à partir d’un étrange carnaval dans un village perdu de la côte pacifique, conçu comme un rituel violent d’exorcisme de la violence, s’enfonçait en terres étranges, comme si l’enquête se diluait ou se ramifiait en vraies et fausses pistes. Le second volet de la trilogie – à partir de la figure de Pablo Escobar –, est inédit en France.
Dans La Despedida, le musée de El Borugo est le prétexte d’une plongée dans une drôle de jungle, hantée par des fantômes végétalisés, comme si Marx, Lénine, Mao, Castro, Guevara étaient les statues brisées d’une cité en ruines recouverte par la forêt vierge. C’est drôle, déroutant, trop dense aussi, comme si l’adieu – « la despedida » – à la violence n’arrivait pas à se libérer des brumes du passé jusqu’à cette dernière rencontre incongrue, au fond de la forêt entre Marx et un chaman. « Nous avons attendu très longtemps pour fêter la paix, disent les metteurs en scène, et maintenant qu’elle est si près de nous, nous avons l’air de ne pas en vouloir ou de ne pas savoir le faire, ne pas trouver les lieux, ni les mots, ni les images, ni les gestes adéquats. »
René Solis
Théâtre
La Despedida, spectacle écrit et mis en scène par Rolf et Heidi Abderhalden, Mapa Teatro, jusqu’au 18 novembre au Théâtre des Abbesses dans le cadre du Festival d’automne à Paris, en tournée à La Rose des Vents de Villeneuve-d’Ascq (Lille) du 23 au 25 novembre, à Montpellier (humain Trop humain) du 28 au 30 novembre et à Pau (Espaces Pluriels) le 5 décembre 2017.
0 commentaires