Victor Hugo étant (fort légitimement) hissé chaque année un peu plus haut au firmament des saints républicains, toute nouvelle édition des Misérables, son œuvre-phare, prend un air d’événement. Ce fut encore le cas le mois dernier avec la parution d’une deuxième édition de ce roman en Pléiade, établie par Henri Scepi, laquelle vient succéder à celle réalisée en 1951 par Maurice Allem pour la même collection. Nous ne savons si cette nouvelle mouture sur papier bible est plus complète ou plus rigoureuse que la précédente, n’ayant eu le temps de comparer les deux versions ligne à ligne. A priori, les différences semblent surtout résider dans l’appareil de notes et les annexes, Scepi complétant le texte par les projets de préface, les ébauches et les pages écartées du manuscrit (mais l’édition d’Allem donnait elle aussi des variantes du texte).
Peu importe dans le fond : l’événement, c’est que les exégètes continuent de se presser autour de la bible hugolienne avec une science et un respect accrus. Et cet événement dépasse de loin le seul domaine littéraire puisque c’est une partie de l’âme de la France qui passe ainsi sous le scalpel, à un moment où la France ne sait plus très bien où elle en est, de son âme. L’éminent hugolien Guy Rosa, dont l’édition critique des Misérables reste fameuse, a naguère résumé l’essentiel : « Les Misérables tirent de leur propre devenir historique celui qu’ils figurent, le roman ne dit rien d’autre de l’histoire que ce qu’elle lui a fait à lui-même, il trouve, si l’on préfère, dans l’histoire de son écriture la source et les moyens de son écriture de l’histoire. Les Misérables, d’abord roman dramatique d’un destin et roman réaliste de l’actualité sociale sont devenus, du fait de leur histoire et en intégrant leur genèse à leur substance, un roman historique, plus exactement un roman de l’histoire. »
Si le lecteur se sent une âme de chercheur, il se penchera d’abord sur le manuscrit du roman, disponible sur Gallica. Puis il se reportera à l’édition électronique des Misérables effectuée par le Groupe Hugo, laquelle rend disponibles trois états de l’œuvre : son texte établi selon les règles classiques, son état au moment où Hugo en abandonne la rédaction en février 1848 – il avait encore pour titre Les Misères – et la rédaction initiale avant toute correction ou ajout. Enfin il gravira ces twin peaks que sont les deux éditions de la Pléiade. Il pourra alors prétendre à un diplôme d’hugologie de premier cycle, option Misérables.
Pour la suite du cursus, il ne sera pas inutile de se plonger dans le numéro spécial Hugo que vient de publier Genesis, la revue de critique génétique de l’ITEM (Institut des textes et manuscrits modernes / CNRS). Coordonné par Jean-Marc Hovasse, délicieux biographe de Victor Hugo, ce numéro plonge dans les papiers du Grand homme (jusque dans ses « copeaux », petites notes vite écrites sur de vagues bouts de papiers) pour en tirer de nouveaux points de vue sur l’œuvre.
Enfin, pour se reposer de tout cela, le lecteur-chercheur s’étonnera en ouvrant Choses nocturnes, curieux ouvrage que vient de compiler Gérard Pouchain (biographe, lui, de Juliette Drouet), qui recense tous les textes — pour certains inédits, directement tirés des carnets de l’écrivain — dans lesquels Hugo évoque les relations qu’il entretient avec la nuit, les rêves et les diverses manifestations du surnaturel. Car même après l’épisode des tables tournantes de Jersey, le poète continua d’être visité par les esprits frappeurs. Et par l’Esprit tout court, c’est certain.
Édouard Launet
Livres
Les Misérables, nouvelle édition dans la Pléiade, par Henri Scepi, 2018, 1734 pages, 65 euros.
Revue Genesis, numéro spécial Hugo, novembre 2017, 212 pages, 33 euros.
Choses Nocturnes, par Gérard Pouchain, éditions Le Vistemboir, 300 pages, 28 euros.
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