“Courrier du corps” : la mise en scène de soi caractérise le monde 2.0. où chacun est tour à tour corps montré et corps montrant. Que nous disent ces nouvelles représentations de l’usage que nous faisons de nous-mêmes ?
Autant la location de soi sur Internet demande d’être nature, cheveux gras et yeux pochés, dans le simple appareil d’une beauté qu’on vient d’
Sur les sites d’hébergement tels que Airbnb, celui qui loue son foyer est supposé afficher son portrait, afin qu’on sache si l’on va finir chez les bons Samaritains ou chez Gilles de Rais. On peut trouver alléchantes les photos d’un appartement puis être refroidi par une paire de solaires opaques ou, à l’inverse, ne pas être convaincu par la déco Fly + j’ai-laissé-traîner-mes-chaussettes-sur-les-photos mais trouver la gueule du Bernard-l’Hermite sympa. Une des options proposées par les sites comme Airbnb consiste à coupler son compte à son profil Facebook, et de récupérer donc les photos de son branding social. Mais celui qui loue une chambre ou un logement pour un week-end, une mission de travail ou des vacances n’a pas forcément envie d’avoir affaire à un maître nageur, une fan de motocross ou un complexé des oeuvres complètes d’Artaud. On préfère quelqu’un qui sait s’occuper d’un appartement, le livrer propre avec du café d’avance et un tapis de bain (important le tapis de bain, un peu comme le sèche-serviettes).
Le “host” devra donc tenter d’apparaître comme le “bon père de famille” des baux de jadis, habitant “bourgeoisement” son domicile. Par exemple en se montrant en couple, voire en famille, tel un Président des États-Unis dont la capacité au gouvernement d’un pays se mesure à sa capacité à gouverner sa famille et soi-même. L’avantage du couple est qu’il y en a un qui fait la compta et l’autre la sociabilité, on se sent entre de bonnes mains. S’il est absolument célibataire, l’hôte tentera de se donner l’air cool et stable. Par exemple, à Castelnau-de-Montmiral, un des “plus beaux villages de FranceColette pose telle une vamp des années 20, le bras droit formant un V dans le prolongement de son visage, comme si elle remettait ses cheveux en place après un coup de vent, le regard au loin, souriante. La photo est prise en intérieur, on aperçoit une bibliothèque derrière elle, elle doit donc avoir un cerveau (on est rassuré) en plus d’un collier à grosses perles qui rappellent des tomates cerises : voilà une femme bien d’aplomb, nourricière et moderne à la fois.
” en vertu du label inventé en 1982,Dans le même village, c’est un peu moins bien pour Laurent. Si une première image le montre en “homme libre toujours tu chériras la mer”, un des classique d’Airbnb (comme Colette et ses yeux perdus dans la brise marine, Castelnau-de-Montmiral est pourtant loin de tout océan), un photomaton frontal et jaunâtre révèle la dissymétrie de son visage, à la limite du strabisme diabolique. Ses “guests” sont cependant tous très contents, il n’a apparemment mangé personne.
Dans un autre des “plus beaux villages de FranceNicole se montre caressant son chien dans l’herbe, ce qui signifie sans doute qu’elle ne ferait pas de mal à une mouche et qu’en outre elle ne souffre pas du rhume des foins, deux éléments qui attirent la confiance. Mais de l’animal ou du végétal, on peut choisir l’un ou l’autre : poser à côté des fleurs de son jardin montre qu’on n’est pas tout à fait opposé à la vie, la fécondité et le printemps en général. Le best plus ultra consistant néanmoins à remplacer sa gueule par l’image d’un animal évoquant la campagne, tel un cheval ou une vache. L’idée est forte, en vertu de Derrida et Lévinas : pour être sûrs d’atteindre à une absolue justice humaine, il faut y inclure le non-humain. Un propriétaire humain pourrait nous entourlouper, mais a-t-on jamais vu une vache refuser de rendre une caution ?
”, Vouvant,Éric Loret
Courrier du corps
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