La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

| 27 Jan 2019
Signes précurseurs de la fin du monde : chaque semaine, l’Apocalypse en cinquante leçons et chansons. Ou peut-être moins si elle survenait plus tôt que prévu.

Pour bien commencer l’année, France Culture organisait le 12 janvier dernier, à la Sorbonne, un forum à l’intitulé sans ambiguïté : « Sommes-nous prêts pour la fin du monde ? » Évidemment, il ne s’agissait pas de répondre par oui ou par non (quoique le non fût d’emblée bien tentant), mais de s’interroger : l’imminence de la catastrophe étant la meilleure invitation à l’action, comment se fait-il qu’à de rares exceptions près, en matière de lutte contre le réchauffement climatique, rien ne se passe qui soit à la hauteur de l’effondrement qui s’annonce ? Aveuglement, impuissance, jouissance de la destruction ?, a demandé Adèle Van Reeth à ses invités. Un peu les trois, ont répondu ces derniers, quoique en termes plus savants.

Pour le philosophe et psychanalyste Pierre-Henri Castel, la pensée est tétanisée car les catégories intellectuelles qui nous ont aidé à réfléchir jusqu’à présent sont révolues. Elles étaient toutes nées dans un monde qui disposait d’une quantité phénoménale d’énergie et ressources, où l’abondance nourrissait la démocratie et la liberté : c’est ce que le politologue britannique Timothy Mitchell a appelé les démocraties carbonées. Les institutions démocratiques s’étant développés grâce aux ressources en hydrocarbures, on ne sait donc plus comment penser l’avenir lorsque ces dernières viennent à menacer le climat puis, à plus ou moins long terme, à s’épuiser.

La philosophe Cynthia Fleury s’y est tout de même essayé, à cette réflexion. La philosophie des Lumières ayant été constitutive de notre modèle d’État de droit, qui présupposait une infinité des ressources, contrat naturel et contrat social se sont retrouvés intimement liés. Hélas, depuis la deuxième guerre mondiale, nous avons découvert peu à peu que les choses étaient disjointes. « Or notre modèle de paix repose sur l’économie carbonée, c’est-à-dire que la condition de la paix est l’énergie, pas la justice. Nous avons construit notre modèle de justice grâce à l’énergie. Aujourd’hui il faut inverser, il faut développer un vrai modèle de justice susceptible de créer un lien vers le rapport énergétique. Ce serait un renouveau merveilleux pour la politique si elle y arrivait. »

Autant dire que nous ne sommes vraiment pas prêts pour la fin du monde. L’effondrement pourrait-il patienter un peu, au moins jusqu’à ce que la pensée politique fasse sa révolution copernicienne ? En attendant, nous trufferons nos maisons d’ampoules basse consommation, deviendrons des experts en recyclage, prendrons des douches de deux minutes maxi, conduirons des Toyota hybrides, mettrons dans les urnes des bulletins écolos par paquet de dix. Et puis, à la fin des fins, ou préférablement juste avant, nous irons nous pendre sur la tombe de Jim Morrison au Père-Lachaise en fredonnant avec les Doors :

This is the end
Beautiful friend
This is the end
My only friend
The end
Of our elaborate plans, the end
Of everything that stands, the end
No safety or surprise, the end.

 

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