À la Toussaint 1978, le soleil était plus accueillant que les frimas de l’hiver précédent. Venise suscitait la tentation de la couleur et une nouvelle semaine de séjour dans la même petite pension permettait d’espérer voir la lagune au-delà de la ville. Monter au sommet de San Giorgio Maggiore et plonger son Leica sur la place Saint-Marc offrait la surprise au premier plan d’un occupant guerrier bien arrogant, un destroyer US en goguette de courtoisie…
Certes ce n’était pas le premier bateau à jeter l’ancre à cet endroit ; mais en 1978 on ne voyait pas encore les énormes paquebots déversant leurs milliers de touristes après avoir fait le mal qu’ils pouvaient à la ville avec leur tirant d’eau.
Les rencontres photographiques peuvent naître de la nostalgie. Quelques années après ce voyage de 1978, je trouvai un livre intitulé Venise: photographies anciennes (1841-1920) publié par Dorothea Ritter (Inter-livres éditions). Giorgio Sommer, né en 1834 à Francfort, s’était établi à Naples où il devint un des photographes les plus important de la fin du XIXe. S’il est resté célèbre pour ses vues de l’Italie du sud, il passa à Venise vers 1870. À la page 38 du livre est reproduite sa photographie d’un cargo vapeur amarré au même point que “mon” destroyer US…
Venise par Giorgio Sommer
Le soleil de la Toussaint n’effaçait pas l’atmosphère pesante qui régnait à cette période en Italie. Les brigades rouges avaient assassiné Aldo Moro le 16 mars. Albino Luciani, élu pape le 26 août, choisit de s’appeler Jean-Paul I et mourut le 28 septembre. Les églises vénitiennes portaient encore des affiches de deuil, les théories complotistes se révélèrent plus tard mais les sombres affaires de la banque vaticane ne peuvent que les avoir encouragées.
Pendant ce bref séjour, Venise fut le théâtre d’un attentat fasciste, des affiches exprimaient le deuil de la commune de Venise pour la mort de Franco Battagliarin.
Des militants de gauche distribuaient des tracts à la montée des vaporetti, au bas des ponts les plus fréquentés de la ville.
Touriste, je voulais voir la ville mais aussi voir vivre ses habitants. Si le beau soleil et la brume d’automne avaient favorisé l’ascension du Campanile pour profiter des douces couleurs, c’est le marché près du pont du Rialto qui m’attira un matin. Les Vénitiens profitant des traghetti, gondoles rustiques assurant la traversée du grand canal pour une somme modique.
Le rostre des espadons, les balances de contrôle à la disposition des clients, l’ambiance bon-enfant du marché ne cachaient pas qu’à Venise il y avait aussi des religieuses glanant quelques légumes défraîchis avec la complicité des marchands.
Des marins américains passaient devant la Farmacia Alla testa d’oro, deux élégantes bavardaient au passage d’un petit pont, les barques vaquaient à leurs tâches de transport, les chats jouissaient du soleil, le linge pouvait sécher et le quai face à la Giudecca, les Zattere, inviter à une conférence sur Proudhon !
Venise, Toussaint 1978
© Gilles Walusinski
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