Vous pardonnerez mon retard mais je n’ai pas réussi à démarrer ma voiture. Les bougies avaient fondu sous l’effet de la chaleur. Les taxis ont rencontré le même problème. Il n’y a plus un véhicule motorisé qui circule dans la capitale. J’ai dû attraper un vélo pour me rendre jusqu’au studio. Une belle trotte. Un chemin de croix plutôt.
La canicule empire. Nous avions cru à la mi-août que l’épisode des fortes chaleurs était passé. Les orages d’une rare violence cette année avaient nettoyé le ciel et rafraîchi l’atmosphère. Le 28 août le thermomètre n’affichait plus qu’un petit 35 dans la moitié nord du pays. Le sud souffrait encore mais les locaux sont habitués à un soleil généreux. Il faisait 40 à Marseille la semaine dernière. Puis d’un coup, sans que les météorologues aient pu l’annoncer, la température est remontée en flèche. 45 ce matin à 9h. A midi nous avons passé les 50 degrés. Les fontaines publiques sont à sec. La Mairie de Paris a ordonné la fermeture du métro et suspendu le trafic des bus. On ne rencontre personne dans les rues.
Bien sûr ces conditions climatiques extrêmes ne facilitent guère le travail d’enquête. Les filatures prennent des allures de montée au calvaire. Les officiers lambinent, les secrétaires se font porter mal, à la DGSE on ne trouve pas une seule standardiste pour répondre au téléphone. Nous sommes néanmoins parvenus à récolter quelques informations. Billot s’affaire, bien qu’il soit constamment en nage. Je crois que le sort du petit Kurz continue de le préoccuper. Si le gamin était en train de crever de soif, semble dire son visage chaque fois qu’il est question de lui. Billot s’est lancé dans une véritable traque. Il est persuadé que le gosse est lié par des liens puissants à Reinhardt. La famille Müller lui est peut-être apparentée. C’est l’hypothèse de mon adjoint. J’ai tenté de vérifier le fait en appelant en vain von Eppendorf. Il reste aux abonnés absents.
Peu importe du reste car nous avons pour le moment d’autres soucis. Les glaciers alpins sont en train de fondre. Les experts estiment que dans un mois ou deux ils auront disparu du paysage. Le Rhône est sorti de son lit et la crue menace Genève. On parle de plusieurs mètres d’eau, une dizaine sans doute. Les banquiers paniquent, les assureurs font leur compte. À Zürich l’heure est grave. Le lac commence à prendre des allures de mer intérieure. Les habitants fuient vers les hauteurs de la ville. Berne, encore épargnée, vient de déposer une demande d’adhésion à l’Europe.
Ces catastrophes naturelles ont des effets inattendus. La Fraction Armée Brune risque de perdre tout ou partie de ses avoirs. À Nassau la banque qui alimentait les caisses de l’organisation s’est effondrée, victime d’un terrible raz de marée. Le Brésil concentre son action sur les feux de forêt en Amazonie. La moitié de la forêt vierge aurait déjà brûlé. L’incendie gagne le pays et menace Rio. La colonie allemande de Niteroi plie bagage. C’est, dit-on, un sauve-qui-peut général.
Peut-être faut-il voir dans ce déchaînement des forces naturelles l’expression de la providence. Une main invisible se referme sur Reinhardt et ses acolytes.
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