Dès que l’on aperçoit Block, une sorte de meuble couloir, très interstitiel tokyoite, on a envie de monter l’escalier de cette mini-pièce qui se love à l’intérieur d’un appartement. Plus belle, contractée et confortable qu’une mezzanine, elle agrège un lit d’appoint, un bureau, des étagères. Impossible de grimper, ce module n’est encore qu’un prototype, en contreplaqué de boulot, signé de Gilles Belley. C’est lui qui bénéficie cette année de la carte blanche du VIA (Valorisation de l’innovation dans l’ameublement), plate-forme de recherche.
Né en 1974, diplômé de l’ENSCI/Les Ateliers de Paris en 2001, ce designer propose deux autres habitacles : Area, une cloison-étagère circulaire en bouleau et CorianR, une sorte de cabane aérée et semi-ouverte pour lire, se réunir ; et Wall, mini-mur en chêne massif et aluminium, qui crée un sous-espace de travail de plus. Cet ensemble constitue un projet cohérent, Rooms, où chaque module est complice de l’autre. “Des pièces sous forme de meubles, qui s’affranchissent du plan conventionnel d’un appartement”, écrit la critique Laurence Salmon dans le catalogue. Des “Folies de jardin” qui auraient muté vers une génétique domestique.
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Ces mini-architectures, que l’on peut rapprocher des systèmes modulaires de l’Italien Joe Colombo (1930-1971), réinterrogent le lien entre le design et l’espace. Avec une belle facture, la douceur du bois, des silhouettes élémentaires, des fonctionnalités basiques (dormir, lire, travailler, grignoter, jouer). Non connectées, elles replantent le design sur le sol, sans nostalgie ni futurisme. Si elles permettent le gain de place, elles offrent du vide pour que l’usager puisse s’inventer des séquences de voyages intérieurs autour des livres. Car ces grands meubles accueillent tous des livres, en papier ! Rassurant !
À une échelle plus petite, les lueurs générées par les lampes Luth sont bien intrigantes. Elles évoquent des instruments de musique. Particulièrement Air, un lampadaire inspiré de la caisse d’une mandoline. Bizarre. Pas tant que cela, ces objets ont été conçus, en harmonie, par le designer Sébastien Cordoleani (né en 1978), avec le luthier corse Ugo Casalonga et l’éclairagiste Jean-Luc Le Deun. C’est le projet dit “partenarial” du VIA. Ici, LEDs et essences de bois (cèdre, buis, érable ondé, poirier, épicéa) s’hybrident de la manière la plus délicate, pour créer des formes non standards. Comme celle qui joue avec la métaphore du tambour ou Pigna, interrupteur géant. Cordoleani a imaginé une analogie entre la diffusion du son et celle de la lumière. Installé à Corte, il souhaite aussi revitaliser ce travail précieux artisanal, en voie de disparition. Cette passerelle entre le design et la musique saura-t-elle stimuler cette petite activité économique ?
En plus de ces deux projets phares, le VIA expose six aides à projet, soumis au baromètre environnemental très COP 21. Se côtoient un îlot de cuisine rigolo, un bac à sable tel un frigo du désert, d’Audrey Bigot ; les meubles d’appoint élémentaires de Camille Flammarion ; un transat de Lucie Le Guen ; un rangement modulaire de Julien Lizé ; une enceinte ultra-directionnelle, “rayon laser sonore”, d’Axel Morales et Fanny Serouart ; et une étagère à la découpe, de Laurent Milon, Baptiste Viala et Charlie Zehnlé. De quoi faire un honnête repérage dans cette petite salve d’astuces et de recherches.
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Créé en 1979, émanation de la filière du meuble, le VIA favorise le lien entre design et industrie. Entre ténacité et fragilité. Cette institution connaît aujourd’hui un changement complet de direction. Un nouveau président, Bernard Reybier, PDG de l’entreprise Fermob de mobilier de jardin, remplace Henri Griffon. Et un nouveau directeur, Jean-Paul Bath, ancien directeur général d’Art Actuel Communication, reprend le poste de Gérard Laizé. L’exposition présente a été menée par l’ancienne équipe. Quelle sera la nouvelle orientation de cet outil de la profession ? “Le design s’applique à tout, écrit Bath, dans un âge transesthétique, caractérisé par l’hyperconsommation et l’hédonisme.” À son programme, un VIA plus en open source, “déclencheur d’expérience”, où numérique, design connecté, coworking, recherche scientifique prendraient toute leur place. Un Grand Prix VIA du design annuel serait créé. Se réclamant de l’artiste Gerhard Richter, Bath affirme toutefois: “Je n’ai aucun programme, style ou prétention. J’aime l’incertitude, l’infini, et l’insécurité permanente.” Où ira donc le VIA ?
Ce qui est certain c’est que pour la première fois, il n’expose pas tous ces projets au salon professionnel Maison & Objet de janvier (qui s’est déroulé du 22 au 26 septembre à Villepinte). Il replie sa communication dans sa nouvelle galerie, certes largement ouverte au public. Mais depuis des décennies, le VIA, tantôt frileux tantôt prospectif, restait le sel de l’espace contemporain du salon du meuble, “Now, design à vivre”, il y créait un débat. Est-ce vraiment une bonne idée de se priver de cette estrade culturelle et commerciale ?
Anne-Marie Fèvre
VIA, exposition “Les Aides à la création 2016”, jusqu’au 4 mars. 120, avenue Ledru-Rollin, 75011.
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