Dans l’exposition qu’il a présentée à la Galerie d’architecture parisienne (1), le sol était recouvert de petits morceaux d’ardoise. Surface bleue noire, instable. Qui crisse sous les pieds. Ce qui situe physiquement dans l’univers que le jeune architecte Samuel Delmas (né en 1977) a voulu “sensible”. On sait à quel point il est difficile d’exposer l’architecture ! Avec des photos, images numériques, maquettes, plans, il fait “entrer” dans ses réalisations. Il situe leur contexte, permet de les traverser des yeux, du paysage extérieur à l’intérieur, d’y percevoir la luminosité. Il a ajouté des éléments constructifs, un pilier, un poteau, ou de la poudre de nanogel. La matière est là. Comme ce sol noir, sonore, pas du tout gratuit, il évoque le terrain de schiste qui entoure le Pôle tertiaire & médical de Nozay (Loire Atlantique). À l’intérieur de ce monolithe gris noir, en zinc et ardoise, livré en 2015, tout est transparence.
Dans cette présentation “Sensible” de seize projets, et dans le livre soigné qui les approfondit (2), Delmas a écrit des petits haikus intrigants, en exergue de chaque bâtiment : “L’air du soir sur la forêt, après l’averse / gravit les souvenirs” fait entrer dans la toute première maison, bioclimatique, qu’il a conçue en 2003 pour des proches, A et F. En mélèze, loin du chalet traditionnel, elle dialogue avec la pente de la montagne, dans la vallée de l’Arve (Haute-Savoie). “Mercredi après-midi, ma voisine passe / parfum dans le sous-bois” transporte vers le milieu humide de Bruges, limitrophe de Bordeaux (Gironde), dans un futur parc avec logements, bureaux et commerces, en cours d’études, prévu pour 2017. Ces petits éclats de mots témoignent de la méthode de l’architecte : une grande écoute du client, à qui il peut offrir des surprises affectueuses hors programmes. Il préfère que le “maître d’ouvrage arrive avec des attentes, et non des solutions”.
Les programmes de Delmas sont très diversifiés. En 2015, ont été livrés une Unité d’hospitalisation de psychiatrie infanto-juvénile à Bures-sur-Yvette (91) ; un centre d’examen du permis de conduire à Gennevilliers (92) ; des logements à Ivry-sur-Seine (94). Un foyer pour migrants à Aulnay-sous-Bois (93) est attendu pour 2016. Dans tous ces bâtiments, la matière (bois, béton, zinc ardoise, verre, brique, acier, polycarbonate) et les usages s’imprègnent de la durée. S’y immisce une indiscipline douce par rapport aux programmes pour créer de l’intimité. Les échelles s’offrent domestiques dans des établissements publics qui sont souvent standardisés. Les surfaces se veulent agréables, pas seulement utiles. Y affleurent des touches énigmatiques comme le pailleté des enduits. Sans décoration superfétatoires. Tout vibre de sons, de parfums, de sensations tactiles. Tous ces bâtiments offrent des lignes de fuite vers la ville ou la campagne alentour.
On retrouve toutes ces attentions à la maison de retraite conçue dans d’anciens laboratoires de l’hôpital Broussais (Paris XIVe), un équipement social dont la maîtrise d’ouvrage est la RIVP (Régie immobilière de la ville de Paris). Entre les quatre pavillons en briques conservés mais épurés sont venus s’intercaler trois nouveaux pavillons en verre, pour former un bâtiment en peigne sur trois niveaux. Il est ouvert à l’intérieur sur trois patios plantés, et un toit-terrasse au deuxième étage. La circulation y est continue, fluide, sauf dans l’unité Alzheimer séparée et sécurisée. Si cet EHPAD (Etablissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) de 112 lits abrite des résidents fragiles, âgés de 75 ans à 90 ans, il n’enferme pas. “Il reste connecté à la ville, avec la nouvelle rue (3), insiste Delmas, mais il est intime et poreux, comme un cocon ouaté. Il n’adopte pas l’ambiance d’un hôpital, plutôt celle d’un hôtel.”
L’existant a été retravaillé avec soin, le contemporain s’affirme. Les deux se marient comme s’ils avaient toujours existé ensemble. Aucune greffe brutale. Les chambres médicalisées sont chaleureuses et coquettes, le restaurant très ouvert et accueillant. Les équipements de soin sont bien signalés. Le blanc sait encore ici s’exprimer tout en nuances d’ombres, il se combine au métal, aux voiles, à la brique, et à des couleurs bien maîtrisées. Surprise, à l’arrière, dans un grand jardin aux teinte plus vives, dont une façade en béton doucement orangé, une volière et un long bassin pour poissons sont attendus. Pour tous, pour attraper les yeux perdus de certains vieux, mais aussi pour les enfants qui viennent voir leur grand-mère. “Sensible” ne signifie pas “sensiblerie”.
L’architecte espagnol Francisco Mangado, qui préface l’ouvrage Sensible, évoque l’“architecture à la fois jeune et mature” de Samuel Delmas. Où il décèle aussi “une réflexion exquise de la matérialité” ! Exquise ? Un adjectif rarement adopté pour l’art de bâtir.
Anne-Marie Fèvre
(1) Galerie d’architecture, 11, rue des Blancs-Manteaux, 75004. 01 49 96 64 00. L’exposition “Sensible” s’est déroulée du 2 au 13 février. À venir : “Espaces libres, 13 mots pour représenter l’architecture”, du 17 février au 27 février.
(2) Sensible, monographie auto-éditée par l’agence a+samueldelmas et diffusé par R-diffusion. 248 p. 38 euros.
(3) EHPAD Broussais, 9, rue Maria-Helena-Vieira-da-Silva, 75014.
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