Socialdesign ? Les graphistes, les designers, les architectes, les paysagistes, les responsables culturels et associatifs qui ont fondé la Plateforme Socialdesign en novembre 2015 en conviennent. “Design” accolé à “social” c’est une tautologie. Car historiquement, le design a toujours été préoccupé par les questions politiques, économiques, sociales, par la vie dans la cité, par l’humain. Depuis l’Anglais William Morris (1834-1896) qui a défendu l’artisanat d’art social. Puis le mouvement pluridisciplinaire du Bauhaus allemand prônant dans les années 20 et 30 des objets et des logements fonctionnels accessibles au plus grand nombre. Et les mouvements radicaux italiens des années 60 et 70, qui ont émis des critiques de l’industrie de série et de la société de consommation. Mais ce mot “social” a fini par être zappé. Enfermant –particulièrement en France, pays des styles et des arts décoratifs –, ces arts appliqués dans l’esthétisme, la forme, les signes, le marketing, le sociétal, les normes.
Ce constat a été dressé lors de la première rencontre publique de cette plateforme, qui s’est tenue le 17 mars, au 104, à Paris. Le mot “social” doit à nouveau être revendiqué car il faut “revenir aux origines du design”, a défendu le graphiste d’espace Malte Martin, un des fondateurs de ce réseau. “Nous sommes en état d’urgence sociale, il y a eu des erreurs d’aiguillage”, a appuyé le designer Ruedi Baur, autre fondateur. Ce qui est réjouissant dans ce regroupement, c’est le croisement entre les disciplines. “Design” est ici pris au sens large anglo-saxon, incluant l’architecture, l’urbanisme, le paysage, le graphisme, avec cette possible définition : “Passer d’un état actuel à un état souhaité”. Pour se démarquer“des habitats inadaptés ou des architectures signes souvent rendues impraticables pour les usagers, situation aggravée par la pression financière“. Pour repenser les usages du design, trop souvent rattaché uniquement au luxe, à l’ameublement, au marketing, au standing, afin qu’il redevienne un “catalyseur pour repenser les usages, rendre accessible et permettre des communs”. Revenir donc à une approche contextuelle, non générique, et décloisonnée.
À quoi sert déjà cette plateforme ? Elle propose un premier recensement des pratiques où le design “est un vecteur de transformation sociale, écologique et culturelle”, est engagé aussi face “à la grande précarité”. Parmi ces projets, a été repéré l’agrandissement de l’école Le Blé en herbe à Trébédan (Côtes d’Armor) conçu par la designer Matali Crasset (1), une école plus ouverte à la population. En Seine-Maritime, l’agence Talking Things accompagne les allocataires au RSA. À Ris-Orangis et Grigny (Essonne), Le PEROU (Pôle d’exploration des ressources urbaines), avec la Fondation l’Abbé Pierre, a lancé le défi aux architectes, paysagistes et designers de rendre habitable un parking désaffecté pour des populations Roms qui avaient été expulsées. Les architectes de l’atelier Construire de Patrick Bouchain pratiquent “la permanence architecturale”, défendent des chantiers ouverts au public, dans différents projets, récemment à Rennes et à Bordeaux. “Topique-eau des Cimes” (Haute-Savoie) est un réseau local d’eau de pluie permettant d’irriguer un potager situé en contre-bas du jardin, conçu par la designer Isabelle Daëron. Humaniteam, laboratoire de design centré sur la santé, conçoit des objets et des services accessibles à tous, notamment aux personnes handicapées. On suivra aussi les pratiques buissonnières des collectifs Coloco, Encore Heureux, Exyzt, la 27e Région… Car ces démarches actives existent, mais elles sont peu visibles, peu soutenues. Elles se répartissent entre six objectifs clés : “Transmettre”, “Faire lien”, “Donner goût”, “Fabriquer la ville”, “Rendre durable”, “Prendre soin”. Le tout “sans renoncer à une haute qualité artistique et culturelle”.
Tous ces projets ont permis aux habitants de prendre part à la fabrication de la ville, de la société ou de leur environnement direct. Leurs concepteurs se revendiquent comme des acteurs en dialogue actif avec les professionnels, les écoles, les élus locaux. “Notre recherche n’est pas universitaire, précise l’architecte Chloé Bodart, présidente de ce réseau. Il s’agit d’une démarche tournée vers l’action”. Ce réseau d’informations et de rencontres, ce creuset de ressources pédagogiques, cet outil de recherche entend approfondir une méthodologie et des valeurs sociales et culturelles communes. Pour dépasser la simple participation, souvent réductive. Pour agir sur les commandes, pour conduire autrement les projets, en impliquant créateurs, commanditaires, usagers. Pour réinventer du commun. Elle reposera sur l’expérimentation, soit des résidences de “recherches-actions” menées sur les chantiers de Socialdesign, dans les villes, les campagnes, les lieux délaissés, les institutions. Le site sera le relai de cette démarche pluridisciplinaire. Une fois par an, les animateurs de cette plateforme rendront visible l’avancée de leurs explorations et actions. Pour recréer, au-delà d’une simple communauté collaborative, de la pensée et de l’imaginaire.
Anne-Marie Fèvre
(1) Voir l’article “Le design Now et maintenant”.
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