“Footbologies” : les mythes et les représentations propres à un championnat de football analysés journée après journée de Ligue 1.
Il y a toujours un surcroît épique dans le retour des héros. C’est l’effet Vingt ans après, des vieux mousquetaires d’Alexandre Dumas. Le héros sur le retour, fatigué mais toujours aussi déterminé, quitte sa retraite pour reprendre du service. Un dernier tour de piste, le “dernier coup d’archet” de Sherlock Holmes, qui revient sauver son pays en guerre avant de prendre définitivement sa retraite. Auréolé du mystère de son absence, le héros dont le temps a forgé la légende réapparaît, pas moins fort mais plus sage. “Luke Skywalker ? Je croyais que c’était une légende”, s’exclame un jeune personnage dans le récent Retour de la force. Le cinéma ne l’ignore pas, qui multiplie les come-back, parce que la nostalgie est vendeuse et que les vieux acteurs ne manquent pas de charme : Harrison Ford pour un dernier baroud d’honneur de Han Solo en attendant le prochain Indiana Jones, Arnold Schwarzenegger annoncé en Terminator une sixième fois, et récemment Sylvester Stallone pour transmettre l’héritage de Rocky Balboa dans Creed. Avec le vieux héros, le lecteur/spectateur retrouve ce qu’il connaît, des repères nostalgiques, la saveur des temps meilleurs, un peu d’enfance peut-être. Et désormais, à l’exaltation héroïque, l’action trépidante et le suspense, s’ajoute une tendresse nouvelle pour ceux que le temps n’a pas épargnés et qui, chargés d’années et d’épreuves, se dévouent une dernière fois au lieu de profiter d’un repos bien mérité. C’est bien connu, le retour est sacrifice, et rarement au cinéma les vieillards qui reprennent du service survivent-ils à la fin du film : Han Solo n’échappe pas à la jurisprudence Obi-Wan Kenobi.
Ainsi en va-t-il du football. À l’heure du concert des Rolling Stones à La Havane, alors qu’on annonce que Guns N’Roses se reforme vingt ans après, les vieux footballeurs –comme les vieux rockers – ne meurent jamais. Le mythe du retour fonctionne à plein. La Ligue 1, cette saison, a des airs de Ligue des gentlemen extraordinaires, ou de maison de retraite, c’est selon. Après les retours gagnants d’Hatem Ben Arfa et de Lassana Diarra, c’est Abou Diaby qu’on attendait. Dans la bande dessinée à succès d’Alan Moore, portée à l’écran par Stephen Norrington, Diarra ferait figure d’Allan Quatermain, l’aventurier au long cours, le chasseur de brousse, le chef de la Ligue qui a porté l’Olympique de Marseille sur ses épaules pendant la première partie de saison. De Diaby, on attendait qu’il fût à ses côtés le capitaine Némo du Nautilus marseillais en pleine tempête, voire un Docteur Jeckyll autorisé à alterner le bon et le mauvais après sa longue convalescence. Il n’a été que l’Homme invisible…
Au mythe du retour se superpose le mythe du messie, d’autant plus désormais que le meilleur joueur du monde joue les homophones du rédempteur. Sport collectif, le football n’échappe pas à la vieille maxime lamartinienne : un seul être vous manque et tout est dépeuplé. Nabil Fekir a été celui-là pour un Olympique Lyonnais qui a fini par s’en sortir sans lui. À Marseille, on attendait le premier match de Diaby comme une épiphanie. Deux matchs joués depuis 2013, une seule titularisation, 42 blessures et 1554 jours d’absence entre 2006 et 2015 avec Arsenal, son retour – une semaine exactement après le dimanche de Pâques – prenait des airs de Résurrection du Christ. Avec nostalgie, on attendait des miracles de la meilleure (éternelle) promesse du football français.
Nostalgie il y a eu, à le voir promener sur le terrain sa longue silhouette d’Huggy les bons tuyaux, mais Starsky et Hutch n’étaient pas au rendez-vous. Eux, ils gagnaient toujours à la fin : pas l’OM d’Abou Diaby, battu 2-1 par Bastia et désormais treizième à six points du premier relégable. Le mythe du retour se réalise plus facilement que celui du messie, et la force est parfois plus difficile à réveiller sur un terrain qu’au cinéma…
Sébastien Rutés
Footbologies
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