“Footbologies” : les mythes et les représentations propres à un championnat de football analysés journée après journée de Ligue 1.
De Joachim du Bellay, le footballeur ne retient que le premier vers : “Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage”. Une carrière est une fuite en avant, une suite de départs vers de meilleurs championnats, de plus grands clubs, de plus hauts salaires, des trophées : “Et comme celui-là qui conquit la Champion’s”. La mondialisation n’a fait qu’accentuer le mercenariat. On s’engage parfois pour quelques mois, les destinations sont de plus en plus lointaines avec l’essor des championnats indien, américain ou russe. Jadis on achevait sa carrière dans son club formateur, on s’en va aujourd’hui au Qatar, s’assurer une retraite. Or c’est précisément à ce panorama qu’on doit l’apparition du mythe du retour.
Le joueur qui revient, ce serpent de mer, ce monstre du Loch Ness, cette arlésienne. Une légende surgie du passé, au même titre que le joueur d’un seul club, parce que le retour est une des formes de la fidélité, cette valeur absolue du football. Drogba reviendra-t-il à l’OM ? Gourcuff à Bordeaux ? Ulysse à Ithaque ? Mystères du mythe !
Retour au bercail, retour au pays, retour au club formateur. Ailleurs, c’est la norme : depuis Maradona à Boca Juniors, les joueurs latino-américains rentrent finir leur carrière chez eux, sur un air de tango à la Carlos Gardel : “Volver con la frente marchita, las nieves del tiempo platearon mi sien”(1). Carlos Tévez à Boca, Javier Saviola et Pablo Aimar à River Plate. La nostalgie. L’idéal du tango : “vivir con mamá otra vez”(2) !
Mais en France, l’odyssée vers Ithaque est parsemée d’épreuves, le plus souvent financières : rares sont les clubs français à pouvoir aligner leurs salaires sur les clubs étrangers. Alors, on revient s’amuser, donner un coup de main en amateur, comme Ludovic Giuly à Monts d’Or Azergues, mais les expériences réussies en professionnel sont rares, ce qui tend à conférer au retour un statut presque magique.
Ainsi d’Eric Abidal en 2013 : après six saisons au FC Barcelone, et trois mois après une greffe du foie, il signe au FC Monaco, son premier club professionnel. Après la maladie, le retour aux sources comme une cure, une thérapie post-traumatique. Le Barça lui offrait un poste d’ambassadeur du club, une retraite dorée ; Abidal fera son retour en équipe de France, avant de signer un dernier contrat à l’Olympiakos.
Fontaine de Jouvence, deuxième jeunesse des corps : ainsi du retour gagnant de Steed Malbranque à l’Olympique Lyonnais, à 33 ans, l’âge des résurrections. Mais aussi, régénération des esprits, car on revient dans l’espace, mais aussi dans le temps. Le retour au bercail, c’est la machine à remonter le temps. A Ithaque, Pénélope aimante fait oublier à Ulysse les tourments de l’Odyssée : le chant trompeur de sirènes qui ne se prénomment pas toutes Zahia, les cyclopes mangeurs d’hommes qu’on appelle aussi des agents de joueurs, le sac d’or d’Eole qui ne contenait que du vent, et tant d’errances entre Charybde et Scylla. Toutes épreuves qui s’évanouissent à la vue des rivages d’Ithaque. Le retour, c’est un trait tiré sur le passé, et c’est une rédemption.
Et voici que deux exemples semblent donner corps au mythe : Hatem Ben Arfa et Lassana Diarra, chacun “retourné, plein d’usage et raison, / vivre entre ses parents, le reste de son âge”, la leçon de Du Bellay bien comprise. En attendant Abou Diaby, c’est le retour en France des fils prodigues, les enfants perdus de la mondialisation, pour lesquels le terroir offre un refuge : le retour au pays, c’est le retour au passé, et à ses vieilles valeurs oubliées, celles d’un temps où l’on tenait la porte à la dame et l’on enlevait son chapeau pour dire bonjour. C’est l’enfance, l’innocence retrouvée. Désormais travailleur et discret, Hatem Ben Arfa est poli avec les journalistes, altruiste avec ses partenaires, et joue mieux que jamais. Témoins ses buts épiques face à Caen et Rennes, et son statut de meilleur buteur du championnat, quand Diarra a retrouvé l’équipe de France après cinq ans d’absence.
Il n’y a pas de morale à cette histoire. Seulement qu’en football comme ailleurs, les mythes ont leur raison d’être.
Sébastien Rutés
Footbologies
(1) Revenir, le front ridé, les tempes blanchies par les neiges du temps (“Volver” d’Alfredo Le Pera).
(2) Vivre à nouveau avec maman (“Victoria”, d’Enrique Santos Discépolo).
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