“L’Amérique de…” : une chronique éphémère sur des Américain.e.s qui font ou ont fait l’histoire des États-Unis. Cette semaine, l’Amérique de Ghazala Khan.
Ghazala Khan, c’est cette présence frêle sur la scène du Wells Fargo Center à Philadelphie, pendant la convention du Parti démocrate en juillet dernier. Elle se tient, la tête voilée, aux côtés de son mari Khizr. Derrière eux, le portrait géant de leur fils Humayun, victime en 2004 d’une attaque-suicide à Bagdad, où il était stationné avec son régiment. Ghazala Khan ne dit pas un mot. C’est son mari qui parle. “Avez–vous jamais lu la Constitution américaine ?”, demande-t-il à Donald Trump en brandissant un exemplaire du texte sous un tonnerre d’applaudissements. “Vous n’avez jamais fait le sacrifice de rien, vous n’avez jamais fait le sacrifice de personne.”
L’Amérique de Ghazala Khan, c’est celle des cimetières militaires américains, ces rangées de tombes qui s’étendent à l’infini, où sont enterré.e.s celles et ceux qui sont mort.e.s au combat, depuis la guerre d’Indépendance, jusqu’à la guerre en Irak. Ghazala Khan est une “Gold Star Mother”, le nom donné aux mères de soldat.e.s tué.e.s à la guerre, honorées le dernier dimanche de septembre depuis 1938. C’est l’armée comme symbole de l’intégration des minorités et comme terrain de lutte contre les discriminations. En 1948, Harry Truman signe un décret présidentiel qui interdit la discrimination dans l’armée. En 1954, le dernier régiment noir est aboli, la même année où la Cour suprême déclare la ségrégation à l’école non conforme à la Constitution. En septembre 2011, est abolie la politique du “Don’t Ask, Don’t Tell”, qui empêchait les homosexuel.le.s de parler de leur orientation sexuelle sous peine d’être exclu.e.s de l’armée. Lorsqu’en 1965, le président Lyndon B. Johnson annonce la fin des quotas d’immigration par nationalité, il parle des “hommes qui s’appellent Fernandez et Zajac et Zelinko et Mariano et McCormick” morts au Vietnam. Les parents d’Humayun Khan sont d’origine pakistanaise.
L’Amérique de Ghazala Khan, c’est aussi la guerre au nom de la démocratie américaine et ses conséquences à l’intérieur et à l’extérieur du pays. C’est la guerre en Irak et ses plus de 500 000 morts. Ce sont ces milliers de soldats qui souffrent de syndrome post-traumatique. C’est aussi la militarisation de la police et de la société, conséquence du transfert de matériel militaire aux forces de police locales.
L’Amérique de Ghazala Khan, c’est Donald Trump qui suggère que si elle n’a pas dit un mot à la convention démocrate, c’est parce qu’elle n’était peut-être pas autorisée à le faire – ce qu’il ne dit pas, mais pense très fort, c’est que sa religion interdirait aux femmes de s’exprimer. Au journaliste qui lui demande s’il a jamais sacrifié quoi que ce soit, il répond qu’il a créé des milliers d’emplois et qu’il a connu beaucoup de réussite dans sa vie – une définition bien à lui du sacrifice. Alors qu’on commençait à croire que rien ne pourrait l’arrêter, il dévisse dans les sondages. Ghazala Khan lui répond dans un article du Washington Post que “le terrorisme est une religion différente” de l’Islam et que si elle n’a pas pris la parole lors de la convention démocrate, c’est parce que, depuis 2004, elle ne peut plus entrer dans une pièce où il y a des photos de son fils.
Hélène Quanquin
L’Amérique de…
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