Dans la fastueuse « ville nouvelle » créée par Louis XIV, trônent les futures gares du Grand Paris, des parcours historiques, de nouveaux bâtiments locaux, et des expositions menées par les écoles d’architecture et du paysage de Versailles. La première BAP, Biennale d’architecture et de paysage d’Île de France, se dessine et balance sur deux pieds. Des plus politiques et polémiques aménagements, aux projections « Augures » plus rêveuses de jeunes concepteurs et artistes. Entre ville et nature, particulièrement au Potager du Roi.
Une première biennale, c’est alléchant, une certaine liberté pionnière devrait s’y exprimer. En France, il y a toujours Lille 3000 qui allie parade populaire, maisons Folies et métamorphoses urbaines, il y a eu l’Agora de Bordeaux, une biennale à Lyon, et bien d’autres rencontres… La région parisienne ne proposait rien de fédérateur. Ainsi vient d’être lancée à Versailles la BAP, première biennale d’Île de France, pour faire dialoguer architecture et paysage, sur le thème de « L’homme, la nature et la ville ». Elle s’appuie sur ses deux écoles, d’architecture et du paysage, mais se projette à l’aune du Grand Paris 2030, et des JO de 2024. Elle est ainsi portée par la Région Île-de-France, la ville de Versailles, la Société du Grand Paris, le ministère de la Culture, le Château, le Louvre, et des partenaires privés. (Même s’il y a « Paris » dans Île de France et Grand Paris, la ville de Paris n’est pas présente officiellement, irréductibles oppositions politiques !) Avec tout cet emballage de labels, pas d’innovation lors de l’inauguration du 3 mai, mais un rituel politique bien usé !
On passera vite sur ce cirque, seul le maire de Versailles François de Mazières, commissaire général de la manifestation, ancien président de la Cité de l’architecture, connaissait son sujet, présentant les différentes expositions. En chantant sa ville au passage. Valérie Pécresse s’est posée en princesse de la Région, seule à réveiller l’Île-de-France, « belle endormie » avant elle… Le ministre Riester le Triste a surtout parlé de Notre-Dame. Nicolas Sarkozy, invité-témoin, a pu jouer le bateleur en vrille : « Si j’ai eu l’idée du Grand Paris, c’est parce qu’on était en crise, parce que l’Occident s’effondrait, le monde s’effondrait. »… « On a renoncé à ça (Notre-Dame-des-Landes) parce qu’il y avait le crapaud doré… » Guignolades. Rires de l’assemblée.
Le débat (trop court) a peu rejailli l’après-midi quand des architectes stars sont revenus sur scène pour reparler de leur Grand Paris. De Jean Nouvel à Roland Castro, de Christian de Portzamparc à Winy Maas, de Djamel Klouche à François Leclercq, d’Antoine Grumbach à Paola Vigano, chacun (une seule chacune) a ré-enfourché son cheval francilien. Presque tous ont regretté le métro Grand Paris Express souterrain : pourquoi n’est-il pas aérien ? Comment les gares vont-elles s’ancrer dans les paysages de banlieues déjà existants, se connecter avec les ZAC qui y poussent ? Coup de gueule assez salutaire de Castro : « C’est un métro ringard. On trimbale tous de la tristesse ! »
Avenue de Paris, « Révolution », labyrinthique escalier de fer, œuvre de l’artiste montréalais Michel de Broin (2010), pourrait être installée là en écho aux circonvolutions et embûches du tracé du futur métro. Dans l’ancienne poste, l’exposition « Horizon 2030 » entend « faire comprendre l’envers du décor de ce chantier titanesque », ce Grand Paris Express de 200 kilomètres de lignes, sur 140 kilomètres carrés, avec 68 gares. Dans une scénographie-atelier du graphiste Ruedi Baur, intense jusqu’au plafond, se succèdent une fresque historique des transports franciliens, de grandes photos-bâches des territoires plus éloquentes que nombre d’images numériques qui se fondent, se confondent. Se concentrent au premier étage les maquettes des 68 gares. C’est un peu fastidieux, on peut plonger dans l’une ou l’autre, c’est un inévitable défilé d’objets. De rubans, de nœuds, de cylindres, de grottes d’interconnections. À la sortie, on glane quelques « Échappées belles » de Nicolas Gilsoul – l’architecte paysagiste qui vient de rénover la place des Manèges. Un « road movie » photographique au fil de 24 projets urbains, de Medellín à Draveil, où cicatrisent ville et nature.
Au Château, avec la foule des visiteurs, les passionnés d’histoire et d’architecture savoureront l’exposition « Architectures rêvées, 1660-1815 », 100 dessins de projets d’architectes qui ont tenté de réinventer Versailles, et qui ne se sont jamais concrétisés. Des visions et des modernisations, comme les agrandissements d’Ange-Jacques Gabriel, qui se heurteront aux caprices des monarques conservateurs. Pour faire réfléchir Sarkozy ?
À l’espace Richaud, ancienne chapelle de l’hôpital royal, ce qui donne l’occasion de traverser cette ville-promenade jusqu’au quartier Chantiers en mutation, pas eu le temps de voir « Versailles/Ville nature, permanence et création ». Cette exposition municipale dont la commissaire est Christine Desmoulins révèle les opérations en cours, dont trois bâtiments déjà sortis : un parc de 400 logements conçu par Élisabeth de Portzamparc. Des bureaux et commerces de Christian de Portzamparc qui en a profité pour redessiner la place Poincarré. Et un manifeste de Patrick Bouchain qui a transformé l’ancienne halle ferroviaire en siège social de Nature & Découvertes : mémoire de la charpente métallique, construction bois, panneaux photovoltaïques, puits canadiens…
Tout cet ensemble de présentations pourrait constituer le « In » de la biennale, institutionnelle, historique, promotionnelle, locale. Attention à ne pas imiter la feu-Agora de Bordeaux qui a défendu ses projets urbains au dépens d’une réflexion plus universelle, à plus large échelle. Mais Versailles, en dépit de son décor grandiose, ne veut pas être Venise !
Et si c’était les deux écoles, l’École nationale supérieure de Versailles (ENSAV) et, l’École nationale du paysage qui jouaient un peu le « Off », le campus prospectif de cette manifestation naissante ? C’est dans l’ancienne Petite Écurie où est installée l’ENSAV, que l’on découvre les quatre étapes du collage « Augures ! », porté par le directeur de l’école, Jean-Christophe Quinton et le commissaire Djamel Klouche, architecte (AUC) et enseignant. À l’entrée, au centre d’art la Maréchalerie, « Lampedusa » du « mésarchitecte » Didier Faustino, est une « sorte de balise ou bouée de sauvetage… pour dire l’humanité et l’inhumanité et faire réfléchir sur ce moment de transit ». À la Gypsothèque, dans cette galerie fabuleuse et minérale habituellement fermée au public, découverte de sculptures et moulages antiques, collections de plâtres du musée du Louvre entreposées ici et marbres issus des collections du château de Versailles. On y évolue au son de « Palabres », installation sonore et murmures de voix de différentes personnalités. Dialogues, en cascades, entre passé et contemporain.
Dans les trois cours intérieures, trois mini-architectures pour discuter ou faire la fête : un café d’été minimal, léger comme une pergola-clairière, des Milanais Piovenefabi ; une petite école destinée aux enfants, des New-Yorkais MOS, soient 688 pièces d’aluminium montées comme un Meccano ; et une classe d’été, avec un toit en tuyaux d’aluminium (pas encore installée !) du Tokyoïte Go Hasegawa. En ce début de biennale, ces pavillons d’extérieur ne sont guère servis par la nature, entre froid, pluie, et vent. Ils attendent le retour du printemps. Ou de l’été.
Enfin, dans la Nef, 23 projets d’équipes d’architectes franciliennes et internationales se bagarrent face au défi climatique. Dans ce laboratoire, différents scénarios : du liquide avec « La Seine monte » ; du mouvement avec « Murs mouvants », des parcs émancipateurs avec « Black Square » ; du solide avec « Archaïque/Contemporain » ; de l’horizontal avec « Room or the very Flat Building » ; et une mémoire précieuse avec les logements squattés par des habitants à Genève et toutes les inventions spatiales qu’ils ont improvisées dans leurs vies communautaires : une belle recherche de Post-Office Architectes. Cette exposition (dense) nécessiterait une médiation pour décoder les projets à un plus large public.
Reste à se promener au gré des points de vue, des cadrages du délicieux Potager du Roi, où est située l’École nationale du paysage ; qui présente avec le paysagiste Alexandre Chemetoff « Le Goût du paysage ». Une idée simple, nourrissante. Le « paysage se mange », dit Chemetoff. À travers des ensemble de photos et de films, c’est le monde paysan, sa culture, qui sont mis en valeur, au fil de portraits, de domaines productifs de la région. Du cinéma de campagne, des conversations paysagères, des partages de produits feront goûter au public cette ode au circuit court du potager ; et à la terre cultivée, qu’il faut absolument défendre, contre la ville si dévorante.
La BAP, c’est une esquisse, une balade délicieuse… Mais l’Île-de-France, ce n’est pas que Versailles. Et si la prochaine biennale, voulue comme un archipel de projets et de rencontres, se tenait dans autre archipel francilien, à Saint-Denis par exemple, comme le suggère Patrick Bouchain !? Déplaçant symboliquement son territoire, changeant de décors, fédérant les écoles d’architecture et reconstruisant des passages (et des tuyaux) entre villes riches et pauvres ! En attendant, tous les week-ends, on galère dans le RER C en travaux, pour relier Versailles à Paris…
Anne-Marie Fèvre
Architecture
BAP, Biennale d’architecture et de paysage d’Île de France de Versailles, jusqu’au 13 juillet. Expositions gratuites, sauf au Château et au Potager du Roi.
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