On se souvient de la proposition radicale de Jérémie Decker – relayée dans nos pages – de révolutionner nos cimetières, afin de les rendre moins sinistres, en supprimant tout simplement les tombes.
Hélas, cette transformation n’est sans doute pas pour demain. La routine, la sempiternelle routine…
En attendant donc des jours meilleurs, l’architecte est momentanément sorti de son domaine en suggérant de faire – au moins! – de la fête des morts (cette année, le samedi 2 novembre. NDLR) un événement réellement festif, à l’instar de la nuit blanche ou de la fête de la musique.
Avec le soutien de plusieurs communes du Val-de-Marne (94) et des Hauts-de-Seine (92), Jérémie Decker a planché sur différents projets qui, s’ils rencontrent un succès populaire, seront pérennisés et étendus à toute la France.
Plusieurs idées ont été avancées. L’une d’elles, séduisante mais jugée anxiogène, a été très tôt retoquée. Il s’agissait de diffuser en boucle les dernières paroles des défunts. Anxiogène et inégalitaire, les proches des mourants n’ayant hélas pas toujours la présence d’esprit de les enregistrer. La suggestion de les faire enregistrer par des comédiens n’a pas non plus été retenue. Trop coûteuse et compliquée compte tenu de la diversité des langues des “locataires” (pour une durée de concession à déterminer, les perpétuelles se faisant de plus en plus rares! NDLR).
L’idée de n’enregistrer que des râles afin d’éviter cette difficulté a été évoquée, mais aussitôt abandonnée. Tant mieux!
Trop coûteuse également la proposition de faire flotter au-dessus des tombes les hologrammes de leurs pensionnaires et ne parlons même pas de l’ingénierie qu’un tel dispositif nécessiterait. Elle a donc été abandonnée à regret et c’est bien dommage.
Il a finalement été décidé que chacune des communes volontaires réaliserait sa propre sonorisation.
Le petit cimetière de Sceaux – ville de culture – diffusera dès la nuit tombée des enregistrements de morts célèbres à l’opéra. Aucune des héroïnes suicidées ou des héros assassinés des grandes œuvres des répertoires classique, romantique ou contemporain ne seront oublié·e·s. Elles et ils seront tous là! Werther, Manon, Mimi, Isolde, Violetta “Les spasmes de la douleur ont cessé. En moi, renaît, renaît, m’anime une force insolite! Ah, je… mais je reviens à la vie! Oh, joie!…”, Mme Butterfly, Norma, Aïda “O terre adieu ; adieu vallée de pleurs… Rêve de bonheur qui s’est dissipé dans la douleur… Le ciel s’ouvre à nous et nos âmes errantes s’envolent vers la lumière de l’éternité”, sans oublier Don Quichotte & Boris Godunov. La nuit devrait s’achever en beauté par la longue immolation de Brünnehilde “Que vienne le feu, qu’il me consume…” Nous y serons!
La commune voisine de Bagneux choisit également le classicisme. Des marches funèbres provenant du monde entier accompagneront les visiteurs nocturnes dirigés dans les allées du grand cimetière de Paris par des milliers de petites bougies, comme autant de lucioles… ou d’âmes des disparus.
Plus original, Arcueil proposera toute la nuit une écoute en boucle d’un florilège des musiques de films de Bernard Herrmann en privilégiant bien sûr celle de Psychose. Frissons garantis!
Enfin Cachan, joignant le gore à l’esprit, installera dans son petit cimetière de la rue Carnot plusieurs écrans géants sur lesquels sera projeté tout ce que le cinéma a produit de plus lugubre en matière d’apparitions de fantômes et de morts vivants! Par précaution, il a été décidé d’afficher des avertissements aux entrées, afin de prévenir les âmes les plus sensibles… et d’éviter qu’elles ne s’envolent.
Le succès de ces ballons d’essai ne fait aucun doute. De lui dépendra la reprise et la généralisation de ce qui devrait sûrement devenir un des grands rendez-vous de l’année.
0 commentaires