La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

La voyageuse évanescente
| 22 Oct 2022

J’étais parti à Paris à la recherche de l’inspiration. Impossible en effet d’en trouver dans la petite ville du Val-de-Marne (94) – que, par charité, nous ne nommerons pas – où j’ai échoué depuis un peu plus d’un lustre. Rappelons aux Béotiennes (elles sont rares parmi nos lectrices !) qu’un lustre (du latin lustrum) était d’abord un sacrifice expiatoire effectué tous les cinq ans (pour ne pas devenir trop technique, ce qui lasserait notre lectorat, nous ne dirons ni par qui, ni pourquoi). Bref, une petite ville où il ne se passe jamais rien, rien en tout cas qui mérite d’être raconté ici.

J’étais donc parti à Paris à la recherche de l’inspiration.

Voilà la pluie à présent. Un bus se présente, prenons-le. Il est plein. Enfin presque. Là-bas, au fond, près de la fenêtre, une place est libre à côté d’un passager à l’air sinistre.

– Pardon Monsieur, je souhaiterais m’assoir.
–Parce que Monsieur voudrait s’assoir sur les genoux de ma femme ?
– Mais enfin ce siège est libre !
– Tu entends chérie, Monsieur veut s’assoir sur tes genoux !
– Je n’aurais pas dit non, je le trouve plutôt mignon, lui répondit une voix fluette – et charmante – flottant au dessus du siège vide.

Il en faut beaucoup pour m’étonner, mais là, j’étais tout de même un peu ahuri, flatté aussi, il y a bien cinquante ans qu’on ne m’avait fait un tel compliment. Je n’insistai donc pas et tournai le dos à ce couple si curieusement assorti.

Quelques arrêts plus tard, la voix fluette – et toujours charmante – se fit à nouveau entendre.

– Chéri, finalement, je vais descendre ici faire quelques courses pour le dîner. On se retrouve à la maison.
– Comme tu voudras chérie, mais ne traîne pas en route, maugréa le passager à l’air sinistre, en s’écartant pour laisser passer son intéressante – et “évanescente” – épouse.
– La porte ! hurla-t-il au conducteur un peu surpris, aucun autre voyageur ne descendant à cet arrêt.

Le bus à peine reparti, le passager à l’air sinistre m’interpelle :

– Eh, le “mignon”, à présent la place est libre !
– Non merci, je descends à la prochaine, bredouillai-je.

Telle n’était pas mon intention, mais à présent, j’étais troublé et certain que décidément rien ne se passerait ce jour-là, rien en tout cas qui méritât d’être raconté ici.

La pluie avait cessé. C’est à pied que je suis rentré dans la petite ville du Val-de-Marne (94) où il ne se passe jamais rien.

0 commentaires

Soumettre un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Dans la même catégorie