Lire ou pas ?
Dix bonnes ou mauvaises raisons
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No no boy, publié à l’origine en 1957, est l’unique roman de John Okada, Américain d’origine japonaise mort à l’âge de 48 ans et dont la femme a brûlé le deuxième roman.
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Point de départ du récit : après l’attaque de Pearl Harbor, en 1941, les hommes, les femmes et les enfants d’origine japonaise installés sur le sol américain ont été internés dans des camps. « Le septième jour du mois de décembre de l’année 1941 fut celui où les bombes japonaises tombèrent sur Pearl Harbor. À compter de cet instant, les Japonais des États-Unis devinrent des animaux d’une espèce différente, en vertu d’une couleur de peau dont ils ne pouvaient se défaire et d’yeux bridés qui, à y regarder de plus près, paraissent rarement tels ».
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Par la suite, le gouvernement a fait remplir aux jeunes garçons internés un questionnaire leur demandant s’ils étaient disposés à rejoindre l’armée américaine et à prêter allégeance aux États-Unis. Certains répondirent non. Deux fois. D’où leur surnom : les no no boys. Ils furent envoyés en prison. Le roman suit le parcours de l’un d’entre eux, Ichiro Yamada, vingt-cinq ans, à partir du jour où il rentre chez lui, à Seattle, après deux ans de camp et deux ans de prison.
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Alors bien sûr le motif central du roman tournera autour des tensions raciales à l’œuvre, pas seulement à l’égard des Japonais d’ailleurs. Dans le roman de John Okada, les bars comme les rues sont des terrains minés où la couleur de la peau et l’appartenance plus ou moins pure à telle ou telle communauté peuvent conduire en enfer.
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Le roman, qui jamais ne tombe dans les travers du manichéisme, ne cesse de démontrer à quel point les parcours, les vies et les ressentis peuvent être différents même partis d’un point commun, à quel point des choix divergents peuvent être fait, à quel point ils peuvent entraîner haine et incompréhension. Il y a Américain et Américain, comme il y a Japonais et Japonais (« ce ne sont pas des Japonais comme nous. C’est juste une dénomination qu’ils se donnent »). Et il y a bien de la souffrance.
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Il évoque aussi ce que c’est qu’une famille, et en particulier une famille en exil, où des générations se succèdent qui peu à peu n’ont plus les mêmes références, plus le même pays : « Puis vint un temps où je ne fus plus qu’à demi-japonais, parce que personne ne peut naître en Amérique, grandir en Amérique, aller à l’école en Amérique, parler, jurer, boire, fumer, jouer, se battre, regarder et écouter en Amérique, parmi les Américains, dans les rues, les maisons d’Amérique, sans devenir américain et aimer cela ».
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Il raconte les déchirement internes de celui qui ne peut plus savoir qui il est : « Je souhaiterais de tout mon cœur être soit japonais, soit américain. Mais je ne suis ni l’un, ni l’autre, et je t’en veux, et je m’en veux, et j’en veux à un monde fait de pays bien trop nombreux, qui se combattent les uns les autres, s’entretuent, se haïssent, se détruisent mais jamais complètement, pour pouvoir remettre ça, tuer, haïr, détruire, encore et toujours ».
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C’est un roman dont il est difficile de rendre compte, tant la réflexion historique et sociologique, centrale dans le récit, pourrait sembler prendre le pas sur tout le reste, tant le sujet en semble sec et barbant. Alors que, étonnamment, c’est d’abord et avant tout un texte troublant de par ses qualités littéraires, émouvant par la subtilité de sa prose, aérien par la délicatesse de ses dialogues et de ses descriptions.
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Le récit dessine, au fil des pages, des portraits tout en nuances, en installe certains de façon durable, en frôle d’autres. Des figures qui ensuite hantent celui ou celle qui aura eu le bonheur de lire ces pages.
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C’est un texte qui parle de tout sauf d’un épisode historique précis, quoique bien sûr ce soit évidemment le cas. Tout en étant à la fois cruel, dur et terriblement émouvant.
Nathalie Peyrebonne
Dix bonnes ou mauvaises raisons
No no boy de John Okada, traduit de l’anglais par Anne-Sylvie Homassel, Les éditions du Sonneur, 2020
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