La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

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Les singes rouges de Philippe Annocque
| 09 Nov 2020

 Lire ou pas ?

Les singes rouges de Philippe Annocque, Quidam éditeur, coll. Made in Europe, octobre 2020, 172 p, 18€

 

Dix bonnes ou mauvaises raisons

1

C’est une histoire qui débute (loin d’ici, des quatre murs entre lesquels vous êtes peut-être confiné) en Guyane, au pays des singes rouges, qui sont des singes hurleurs (« Les cris des singes rouges, qui traversaient le fleuve, ont traversé le temps »), au début des années 1930.

2

C’est un voyage (loin d’ici, des quatre murs entre lesquels vous êtes peut-être confiné) qui se poursuit en Martinique, avant de s’achever à Paris. « Un jour elle a repris le bateau. Elle a laissé la Martinique derrière elle. Et la Guyane, encore plus loin, tout au fond de ses souvenirs – où elle est restée ».

3

C’est une tentative d’attraper des images, des sensations, des bouts de vécu, parce que ça passe si vite, l’enfance : « Tout s’est passé très vite ». Bien sûr : « mathématiquement parlant, par rapport à une vie entière, quand on a la chance de vivre longtemps, la jeunesse c’était forcément très court ».

4

Dans un récit aux allures de poupées russes tropicales, un fils raconte une petite fille, devenue adulte, devenue mère. « Ce livre n’est sans doute pas seulement un recueil des souvenirs de sa mère. Mais ce livre est aussi un recueil des souvenirs de sa mère. Les souvenirs, c’est bête à dire alors disons-le, c’est fait pour qu’on s’en souvienne ». Raconter l’enfance d’une mère, raconter sa propre histoire. « Ce sont de bons souvenirs. Il a souvent entendu sa mère les raconter. Ce sont un peu les siens aussi. Des souvenirs de souvenirs ». Mise en abîme vertigineuse, on s’y perd parfois un peu, qui est qui et qui ressent quoi, mais c’est normal, c’est le fil familial qui parfois s’enroule et même s’emmêle. C’est comme ça, les histoires de famille.

5

C’est l’histoire de pertes successives. Perte de l’enfance bien sûr, d’un pays, d’une terre, d’un prénom, d’une partie des souvenirs, aussi.

6

Fait notable : ce livre a une odeur, « l’odeur des mangues, l’odeur des papayes », peut-être parce qu’il se situe surtout en Guyane et en Martinique, peut-être aussi parce qu’il y est question d’enfance et de liberté. Allez savoir.

7

Ce sont des fragments, rien de linéaire, ça marche par à-coups, par tableaux, avec hésitations. Sans cesse, l’auteur explique que non, que ce souvenir-là, il ne va pas le garder (« C’est trop simplement un souvenir familial »). Et puis, si, bien sûr, il le garde.

8

Les brefs tableaux qui se succèdent, les chapitres, ont tous un titre. Et on peut les lire, ces titres, les uns à la suite des autres, les feuilleter, les soupeser : « Perdre le paradis », « Connaître le nom des singes », « Se préparer des remords ». Ça fait comme un poème.

9

L’auteur ? « …vaguement martiniquais d’origine seulement, martiniquais délavé », reflet brouillé, parfois indécis, tout au long du récit.

10

C’est un beau texte, une promenade poétique autour de la question de l’identité qui toujours commence au loin (loin d’ici, des quatre murs entre lesquels vous êtes peut-être confiné), dans les souvenirs des autres ou ce qu’il en reste.

Nathalie Peyrebonne
Dix bonnes ou mauvaises raisons

 

Les singes rouges de Philippe Annocque, Quidam éditeur, coll. Made in Europe, octobre 2020, 172 p, 18€

 

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