L’arrêt presque intégral de toute activité marchande pendant le confinement de mars 2020 du fait de la fermeture des lieux de vente, librairies, salons, festivals, a mis en danger nombre de maisons d’édition indépendantes frappées de plein fouet par les conséquences de la pandémie et grandes oubliées des aides gouvernementales. Dans le même temps, des éditrices et des éditeurs se sont saisi·e·s de cette période d’ébranlement des routines pour prendre une distance réflexive avec les pratiques individuelles, imaginer des dispositifs collectifs de réflexions et d’action. Dans un article précédent, nous avons présenté deux exemples de collectifs de maisons d’édition indépendantes, intégrant pour l’un d’entre eux des librairies, nés au sortir du confinement afin de promouvoir les productions des indépendant·e·s face au rouleau compresseur des grands groupes éditoriaux,à leur force commerciale et médiatique (Indépendances solidaires).
L’Association des Éditeurs de Nouvelle-Aquitaine (AENA) est une autre de ces initiatives collectives née fin 2020 avec le soutien de la DRAC et de la Région, dans ce vaste sud ouest de la France où sont établies, selon les chiffres de l’agence du livre (ALCA), 200 maisons d’édition. Faire découvrir les éditeurs et éditrices indépendantes, défendre leurs intérêts, organiser des lieux de rencontres et d’échanges, sont les missions de l’AENA au niveau local. Esther Merino, qui dirige les Éditions Les Monédières à Limoges en est la présidente, elle est aussi au bureau de la récente Fédération des éditions indépendantes (Fedei) qui s’est fondée pour débattre et s’organiser au niveau national. L’essentielle bibliodiversité n’est pas seulement une affaire de diversité des formats et des contenus mais nécessite l’existence de structures éditoriales à taille humaine, fonctionnant sur d’autres bases économiques que celles exigées des grandes entreprises du secteur par leur actionnariat. Des professionnel·le·s de l’édition centré·e·s avant tout sur leur métier.
Qu’est-ce qui a motivé la fondation de l’AENA ?
Pendant le confinement, des maisons d’édition indépendantes exprimaient très fortement le besoin de se regrouper, de parler de ce qu’elles traversaient. L’AENA s’est créée très facilement à un moment où l’on avait plus de temps pour réfléchir, moins la tête dans le guidon. Au début, l’association regroupait une vingtaine d’éditeurs et d’éditrices, nous sommes une cinquantaine aujourd’hui. Il s’agit aussi de casser l’isolement des indépendants. L’AENA met en place des actions de promotion des maisons d’édition membres mais c’est aussi un lieu d’échange entre professionnels.
Qui peut devenir membre de l’AENA ?
Il n’y a pas de profil particulier, les adhérents de l’AENA sont divers. Des maisons d’édition sont distribuées et diffusées par des tiers, d’autres pratiquent par choix l’auto-diffusion et l’auto-distribution, certaines sont plus grandes, d’autres plus artisanales. Mais nous insistons sur la professionnalisation. Est-ce que l’éditeur ou l’éditrice a pour objectif de vivre de son travail ? Est-ce qu’il ou elle respecte les règles, notamment le versement de leurs droits à ses auteurs et autrices ? Chaque candidature est examinée collectivement en conseil d’administration, à l’appui des pièces demandées avec le dossier, selon les critères qui seront clairement énoncés sur le nouveau site internet de l’association bientôt mis en ligne.
Quelles missions l’AENA se donne-t-elle ?
Les missions évoluent avec le développement de l’association néanmoins l’AENA a pour premier objectif de promouvoir les catalogues des maisons adhérentes auprès des autres acteurs du livre (libraires, médiathécaires) et du grand public. Nous organisons par exemple des « rentrées littéraires », des événements où nous présentons les nouveautés. Nous tenons absolument à ce que ces rencontres se déroulent dans les différentes composantes territoriales de la Nouvelle-Aquitaine, nous en avons organisé à Bordeaux, à Limoges, une prochaine aura lieu à La Rochelle, nous voulons être présents partout et que tous les départements soient représentés.
Nous travaillons en collaboration avec l’association LINA (Librairies indépendantes en Nouvelle-Aquitaine) qui suit nos éditeurs et éditrices, réalise des portraits d’éditeurs qu’elle diffuse sur son site. Quand LINA organise une rencontre professionnelle, des éditeurs sont conviés et disposent d’un moment pour se présenter et présenter leur catalogue. Les libraires découvrent ainsi des maisons qu’ils ne connaissaient pas. Face aux productions envahissantes des grands groupes, il faut créer une part d’attention chez les libraires pour l’édition indépendante. L’AENA leur permet de connaître ses adhérents, les libraires s’intéressent plus facilement à un catalogue quand on tisse un lien.
Cette meilleure connaissance des maisons indépendantes conduit-elle les libraires à assouplir leur conditions commerciales ?
Négocier des contrats ne fait pas partie des objectifs de l’association. Ce que fait l’AENA, c’est mettre en relation, faire découvrir, sensibiliser les libraires au fait que les éditeurs indépendants sont des professionnels. Nous voulons montrer par exemple que l’auto-distribution et diffusion peut être professionnelle. De plus, nous nous adressons à tous les publics. Le métier d’éditeur est très fantasmé à l’ancienne, il doit être expliqué et défendu dans ses réalités. Notre prise de risque n’est pas perçue par le public qui a une image de l’éditeur du XIXe siècle. Dans les événements que nous organisons, viennent des bibliothécaires qui n’ont pas l’habitude de recevoir des maisons d’édition. Nous proposons aussi à l’occasion des festivals littéraires par exemple des rencontres entre des éditeurs et des lecteurs qui se montrent très intéressés par ce maillon de la chaîne du livre finalement mal connu. Nous sommes présents sur des manifestations comme L’Escale du livre à Bordeaux, les Rencontres de Montmorillon, Lire à Limoges. Ces salons nous donnent de la visibilité en accueillant un stand, en nous permettant d’organiser des tables rondes et des visites guidées de stands d’éditeurs.
L’AENA travaille aussi en lien avec l’ALCA, l’agence du livre, cinéma et audiovisuel en Nouvelle-Aquitaine. Comment s’articule la collaboration entre ces deux instances ?
L’existence de l’AENA a simplifié les relations non seulement avec l’ALCA mais aussi les autres institutions qui disposent maintenant d’un interlocuteur unique représentant un nombre important de maisons d’édition indépendantes. Nous avons de bonnes relations avec l’ALCA sans avoir bien sûr ni le même périmètre puisque l’ALCA s’adresse à tous les éditeurs de la région, ni les mêmes objectifs. Nous avons signé une charte de coopération comme l’a fait l’association des libraires (LINA). Nous échangeons régulièrement et l’AENA siège au bureau de l’ALCA, ce qui est important parce qu’avant il n’y avait pas d’éditeur au bureau de l’agence du livre.
L’AENA est membre de la récente Fédération des éditions indépendantes. De quoi s’agit-il ?
La fédération a commencé à avoir une vraie visibilité suite au Festival du livre de Paris. À cette occasion, nous avons constaté qu’il y avait une grande méconnaissance de l’édition indépendante de la part des institutions mais aussi des grands groupes qui ne comprennent pas notre façon de fonctionner. La Fédération des éditions indépendantes réunit dix associations : l’AMEB (Association des maisons d’édition en Bretagne), le Coll.LIBRIS (Editeurs en pays de la Loire), les Éditeurs du Sud et éditeurs jeunesse (Provence-Alpes-Côte d’azur), l’association des éditeurs des Hauts de France, les éditions indépendantes en Rhône-Alpes et Auvergne, l’ERO (éditeurs de la région Occitanie). Deux autres nous rejoignent, La Fabrique ô livres (Normandie) et les éditeurs indépendants de la région Grand Est. Nous réfléchissions à la possibilité pour les maisons d’édition indépendantes des régions où il n’y a pas d’association régionale, en Île-de-France par exemple, de rejoindre tout de même la fédération.
La Fédération des éditions indépendantes défend les intérêts des éditeurs et éditrices face aux institutions nationales. Nous avons déjà gagné une certaine visibilité puisque le Ministère de la culture et le Centre National du Livre nous sont attentifs. Nous nous sommes présentés au Syndicat National de la Librairie pour expliquer que nous ne travaillons pas comme les grands groupes mais que nous représentons un nombre important de maisons d’édition. Nous allons entamer des conversations avec le Syndicat National de l’Édition qui représente surtout les plus gros éditeurs, pour travailler ensemble sur certains dossiers, par exemple sur la question des tarifs postaux du livre qui concerne l’ensemble des professionnels de l’édition. Aux assises internationales organisées à Pampelune en novembre 2021 par l’Alliance internationale de l’édition, nous nous sommes aperçus lors des tables rondes et des conférences, qu’en Espagne, la situation est très similaire à la nôtre, qu’il y a beaucoup de problématiques communes. Ces lieux d’échanges sont très importants.
La Fédération des éditions indépendantes organise les premières assises nationales de l’édition, comment envisagez-vous cet événement ?
Ces premières rencontres professionnelles de l’édition auront lieu les 2 et 3 février 2023 à la Cité du livre d’Aix-en-Provence avec l’appui de l’agence régionale du livre de Provence-Alpes-Côte d’azur, la SOFIA et le CNL entre autres. La programmation n’est pas encore totalement arrêtée mais nous aurons de nombreux sujets de réflexion, en accordant aussi une place aux autres maillons de la chaîne du livre. Je souhaite que de nombreuses maisons d’édition indépendantes se sentent concernées et participent. Nous nous sommes rendus compte en fondant l’AENA que c’est le collectif qui peut débloquer des choses, ne serait-ce qu’en facilitant les relations avec les institutions. Avec la Fédération, tout d’un coup, nous avons gagné une visibilité au niveau national qui n’existait pas avant et que l’on n’aurait jamais eue en restant chacun et chacune seule dans notre coin.
On sent que vous éprouvez non seulement de l’enthousiasme mais un certain soulagement à voir se concrétiser une défense organisée des maisons d’édition indépendantes…
L’image de l’édition indépendante véhiculée par les médias est confuse. Certains éditeurs jouent sur la carte « indépendants », alors qu’ils font partie de groupes éditoriaux. Or, s’il n’y avait que les grands groupes, la bibliodiversité n’existerait pas. Le rôle des lecteurs est très important pour faire vivre cette bibliodiversité. Il faut donc faire plus que de la pédagogie : une évangélisation ! Avec la Fédération de l’édition indépendante, nous avons sorti notre bâton de pèlerin et commencé à rencontrer les institutions pour leur expliquer que l’édition indépendante à sa propre économie. Ce qui n’est pas si facile à expliquer parce que définir l’édition indépendante est complexe. Ce sera l’un des enjeux des assises nationales d’essayer de définir l’édition indépendante et peut-être d’avancer sur l’idée d’une charte. C’est magique : avant on ne s’était pas penchés sur cette question, maintenant on y est.
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