“Elle fonce dans la vitrine de l’auto-école lors de son examen de conduite.”
Ce dramatique échec s’est produit à Bellevue, dans l’état de Washington (États-Unis). La candidate âgée de 20 ans était bien partie pour obtenir son permis de conduire mais, de retour de l’examen, elle aurait confondu pédales d’accélérateur et de frein au moment de garer le véhicule, si bien qu’elle a expédié ce dernier dans la devanture de l’auto-école. L’erreur a été éliminatoire mais il n’y a pas eu de blessés.
Chaque année en France, des dizaines de véhicules finissent leur course dans une vitrine. Ces invasions inopinées touchent les commerces les plus divers : pizzerias, bureaux de tabac, boucheries, cafés, agences immobilières, magasins de sport, boulangeries, salons de coiffure, pour ne citer que quelques exemples parmi les plus récents. Cette appétence des voitures pour les vitrines est un phénomène qui reste étrangement peu exploré par la recherche scientifique. Bien sûr, le fait que la plupart des boutiques sont situées sur le bord d’une rue ou d’une route, conjugué à cet autre fait que les conducteurs ivres ou simplement distraits sont légions, pourrait suffire à expliquer ces fracassantes intrusions. Mais l’histoire des sciences est jalonnée d’évidences qui se sont révélées in fine de fausses pistes. Il faut donc chercher d’autres causes à ces incidents, sans exclure aucune hypothèse car il est urgent de faire baisser le chiffre d’affaires de la vitrerie-miroiterie dont la progression exponentielle inquiète jusqu’aux pouvoirs publics. Par ailleurs, il pourrait y avoir un jour des victimes.
Éliminons d’abord les faux-positifs. Les autos qui se garent dans les agences bancaires au milieu de clients affolés sont en général des voitures-béliers. Leurs conducteurs sont moins pressés de trouver une place de parking que de se remplir les poches sans avoir à faire la queue devant un bête distributeur automatique de billets. Les véhicules qui entrent dans les concessions automobiles sans passer par la porte ont des propriétaires mécontents qui, comme les saumons, reviennent là où les ennuis ont commencé. Celles, enfin, qui jaillissent dans les cabinets d’assurance sont les vecteurs de constats d’accident ne nécessitant pas de passer par une pesante paperasserie, ce qui peut être un motif suffisant de collision.
La plupart des autres cas pourraient bien relever d’une sorte d’expression brutale de l’inconscient de la technique. Cette piste, assez ellulienne dans le fond, est fondée sur deux constats : d’une part, l’automobile est une arme par destination dont la puissance a besoin de se libérer de manière récurrente. D’autre part la vitrine est, de façon constitutive, une victime dont la fragilité fonde l’existence même. La rencontre de ces deux aspirations, pour ne pas dire de ces deux destins, semble dès lors inévitable.
Certes, cette hypothèse fait l’impasse sur le facteur humain, mais il est important de noter que les conducteurs sont les premiers surpris de voir leur véhicule entrer dans un magasin sans crier gare, de surcroît un magasin qu’ils n’avaient pas l’intention de visiter, n’ayant sur le moment besoin ni d’un article de parfumerie ni d’une choucroute. Le projectile et la cible, par contre, affichent des rictus cabossés où il n’est pas difficile de lire une certaine ironie. On en conclura avec Jacques Ellul que, aussi longtemps que l’on n’aura pas étudié le phénomène technique en dehors de ses implications économiques et des problèmes de système économique ou de lutte de classe, on se condamne à ne rien comprendre de la société contemporaine et des bris de vitrine (in Le Système technicien).
Le cas de la jeune candidate au permis de conduite échappe toutefois à cette approche technico-analytique car il relève clairement d’un phénomène bien connu des sportifs : la peur de gagner.
Édouard Launet
Sciences du fait divers
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