“2017, Année terrible” : chaque semaine, une petite phrase de la campagne des présidentielles passe sous l’hugoscope. Car en France, lorsqu’il n’y a plus rien, il reste Victor Hugo.
Des indiscrétions recueillies par délibéré au café de l’Europe, 28 place Raphaël Elizé à Sablé-sur-Sarthe, nous permettent d’affirmer que le couple Fillon se prépare à s’exiler sur l’île de Guernesey. Selon plusieurs clients habituels de l’établissement, François Fillon est entré dans le café hier soir aux alentours de 22h30. Il était passablement éméché. Il n’en a pas moins commandé un calva, que le patron a refusé de lui servir. Le candidat est alors entré dans une colère noire et s’est mis à haranguer la salle.
– L’exil ! Dans la situation où est la France, voilà pour nous le devoir. Fidèle à l’engagement que j’ai pris vis-à-vis de ma conscience, je vais m’engager jusqu’au bout dans l’exil de la liberté. Et quand la liberté rentrera, je rentrerai. Je ne céderai pas. Je ne me rendrai pas. J’irai jusqu’au bout parce qu’au-delà de ma personne, c’est la démocratie qui est défiée. Je vous demande de me suivre.
– Où ça ? a demandé un client.
– À Guernesey, a répondu Fillon. Il y a des bateaux qui partent de Saint-Malo. J’ai les horaires. Certains d’entre vous bénéficient-ils de réduction sur les lignes de Condor ferries ?
– Pourquoi pas au Canada comme Juppé ? a fait un autre.
– Parce que ce traître a souillé le sol américain pour l’éternité, a dit Fillon. Par ailleurs, je n’ai pas les moyens de payer des billets d’avions à tout le monde. Enfin, j’ajouterai que les îles anglo-normandes jouissent d’un bien meilleur climat que Montréal ainsi que d’une offre de restauration tout à fait correcte. Il y a en particulier à Saint-Pierre Port un établissement français nommé le Petit Bistro qui sert une soupe à l’oignon dont vous…
– Et des crêpes ?
– Oui, bien sûr.
– Et des steaks tartares ?
– Naturellement.
– Et du calva ?
Fillon s’est alors tourné vers le patron en suppliant : « juste un petit ? », que l’autre a fini par lui servir. Le vainqueur de la primaire l’a avalé cul sec et s’est tourné à nouveau vers la salle.
– Je n’accepte pas que tout s’organise pour nous amener, un pas après l’autre, dans la voie du renoncement, du déclin, de l’oubli de ce qui fait notre grandeur nationale. La France est plus grande que nous. Elle est plus grande que, euh, le terrain de foot de Sablé, tribunes comprises. Elle est plus grande que les partis pris d’une large part de la presse. Elle est plus grande que les emballements de l’opinion elle-même. Et c’est parce que je suis totalement décidé à servir cette France-là que je m’opposerai, de toutes mes forces, à ce que le hasard ou le calcul décident de son sort et de l’avenir des Français. Nous allons partir résister, ensemble, à Guernesey ! Tournée générale, les amis !
Toute la salle a applaudi à cette dernière phrase.
– Il pleut beaucoup là-bas ? a demandé le patron en passant son chiffon sur le comptoir.
– En mars, pas plus de 21 jours par mois, a répondu Fillon.
– Et la Corse, pourquoi pas la Corse ? a crié un type au fond du café.
– Vous êtes la France des paysans, des cathédrales, des châteaux et des sans-culottes, a éludé Fillon. Nous tirerons de cet exil le surcroît de force qu’il nous faut pour l’emporter et redresser notre pays. Car l’île est charmante, croyez-moi : promenades revigorantes le long des sentiers de falaise, flâneries dans les paysages bucoliques de l’intérieur des terres ou détente totale sur de superbes plages, Guernesey vous surprendra par l’infinité de délices qu’elle propose. Et je vous le redis avec gravité : ne vous laissez pas abuser, ne laissez personne vous priver de votre choix. Parce que votre voix seule doit décider de notre avenir commun, et parce que ma volonté de servir est plus grande que les accusations qui sont portées contre moi, je vous demande de résister. Le prochain bateau, c’est demain à 14h30.
– Ça fait un peu court, a objecté le patron. Vendredi, il y a Angers qui joue contre l’Olympique de Marseille.
– Mes amis, je mesure le sacrifice que je vous demande, mais sachez qu’on capte les chaînes de télé françaises à Guernesey aussi bien qu’ici. Et puis, au-delà de vous, amis saboliens, au-delà de la procédure judiciaire dont je suis victime, c’est à tout le peuple français que j’en appelle ce soir. Je ne fléchirai pas ! Sans plainte dans la bouche, calme, le deuil au coeur, dédaignant le troupeau, je vous embrasserai dans mon exil farouche, Patrie, ô mon autel ! Liberté, mon drapeau ! Acceptons l’âpre exil, n’eût-il ni fin ni terme, sans chercher à savoir et sans considérer si quelqu’un a plié qu’on aurait cru plus ferme, et si plusieurs s’en vont qui devraient demeurer. Si l’on n’est plus que mille, eh bien, j’en suis ! Si même ils ne sont plus que cent, je brave encor Sylla ; s’il en demeure dix, je serai le dixième ; et s’il n’en reste qu’un, je serai celui-là !
Et de fait, les autres ayant fui avant la fin de la tirade, François Fillon est désormais le dernier consommateur au café de l’Europe. Le patron vient lui taper doucement sur l’épaule :
– Rentrez chez vous, Monsieur Fillon, je ne vais pas tarder à tirer le rideau et s’il n’en reste qu’un ici, ça sera moi. Emportez le reste de la bouteille de calva si vous voulez, vous en aurez besoin dans les îles. Et pas de bêtises, hein ?
Édouard Launet
2017, Année terrible
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