“Il tombe du troisième étage en crachant sur la police.”
La soirée était très arrosée. Pour amuser ses copains, l’homme de 27 ans a pris son élan pour mollarder sur un véhicule de police qui passait devant l’immeuble. Trop d’élan, puisqu’il est passé par la fenêtre. Des taillis ont amorti la chute. Bilan de l’attentat : quelques fractures, des policiers très surpris et un contrôle d’identité pour tous les participants à la fête.
Ce genre d’incidents n’est pas rare quoique les défenestrations surviennent plutôt lors de concours de crachats opposant des adolescents saturés de bière. Parmi les victimes les plus récentes, un étudiant de la faculté de médecine de Saint-Etienne (24 ans, premier étage), un Grenoblois (22 ans, deuxième étage), un étudiant en ingénierie d’une université canadienne d’Ottawa (20 ans, onzième étage), un Suisse (29 ans, étage inconnu). Les deux derniers sont morts. Plus original, un habitant de Haute-Loire de 36 ans a chuté de son balcon en faisant un concours de crachat de noyaux d’olive avec sa femme. Emporté par son élan, il est tombé de plusieurs mètres mais s’en est tiré avec une simple entorse. Notez cette variante, qui se fait avec ou sans élan mais toujours au niveau du sol : le cracher de bigorneau, dont un championnat est organisé près de Roscoff. Le principal risque est d’avaler la coquille. A l’heure où nous écrivons, le record du monde est de 10,57 mètres.
Si l’on s’en tient aux sécrétions naturelles, la méthode la plus efficace pour cracher loin est d’amener la salive à l’avant de sa bouche en serrant fort ses lèvres, de respirer un grand coup, et d’expulser. Une course d’élan permet-elle de gagner quelques centimètres supplémentaires ? Nous n’avons rien trouvé à ce sujet dans la littérature scientifique qui, pour l’heure, semble plus préoccupée d’ADN mitochondrial et de bosons W que de chutes accidentelles lors de concours de crachats. La recherche aurait pourtant les moyens de nous éclairer. Un physicien n’a-t-il pas mouliné, il y a quelques années, de savantes équations pour savoir si le temps qu’on perdait en vélo à pédaler contre le vent était compensé, lors du trajet retour, par la poussée que l’on avait dans le dos ? Sa réponse : non. Si la science n’a pas de meilleures nouvelles à nous donner, alors autant qu’elle se taise, tout comptes faits.
Mais la science ne se tait jamais : elle vient de nous révéler qu’il y a dans la nature un animal cracheur autrement plus doué que l’être humain. Le poisson-archer, qui vit dans la mangrove, est capable de dégommer un insecte (pour le manger) en expulsant de sa bouche un jet d’eau puissant, précis et de longue portée : jusqu’à plus d’un mètre. Pas mal pour une bête qui mesure entre dix et trente centimètres. Les jeunes spécimens sont moins adroits mais les chercheurs se sont aperçus qu’ils savaient collaborer, groupant leurs tirs pour faire tomber une proie dans l’eau.
Les poissons-archers ne font jamais de concours. Ils crachent pour assommer et visent rarement les cars de flics. Ils savent sans doute que la maréchaussée n’est pas comestible.
Édouard Launet
Sciences du fait divers
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