“Il se fait un selfie avec un revolver et se tue accidentellement.” (Skagit Valley Herald)
Ce n’est pas que cet homme ait pris son revolver pour un smartphone. Non, il avait le premier dans une main et le second dans l’autre, les deux braqués sur sa tête. Il a déclenché les deux simultanément, ignorant que l’arme était chargée. Résultat : un mort et une photo pas terrible. Cette mauvaise plaisanterie a eu lieu aux États-Unis, dans l’État de Washington, et ce n’était pas la première du genre puisque, quelques mois plus tôt, un jeune Texan s’était tué de la même manière.
L’autoportrait mortel n’est cependant pas une spécialité américaine mais indienne. Le Washington Post nous apprend en effet que c’est en Inde que l’on se tue le plus en se photographiant. Car, oui, sur les vingt-sept selfies mortels recensés sur la planète en 2015, plus de la moitié ont été réalisés dans ce pays, et ce dans les circonstances les plus diverses : sur des escaliers escarpés du Taj Mahal, trop près d’un ravin, sur un bateau très instable, sur les berges glissantes d’un canal, etc. Évidemment cela intrigue : à quoi l’Inde doit-elle cette première place au hit-parade de l’autolyse narcissique ? Eh bien il n’est pas impossible que le Premier ministre Narendra Modi y soit pour quelque chose car cet homme se trouve être un dingue de selfies. Il en fait comme il respire. Son cliché le plus fameux est celui où il sourit à son smartphone en compagnie du Premier ministre chinois Li Keqiang, en mai 2015. Le Wall Street Journal a qualifié l’image de “selfie le plus puissant de l’histoire” dans la mesure où il réunissait les dirigeants de deux pays comptant pour plus du tiers de la population du globe, avec des économies à l’avenant. La géopolitique du selfie, voilà une piste de recherche intéressante pour les sciences politiques. Ou pour la philosophie : je suis avec X, donc je suis. À noter que pour Li Kegiang, dont le pays censure les messages de Twitter, ce selfie était une première. Quand le Premier chinois s’achètera une perche à selfie, nul doute que l’International Political Science Review redoublera d’attention sur son cas.
Les selfies spectaculaires de Narendra Modi lui permettent de faire un carton sur Twitter : 18 millions d’abonnés à ce jour, soit presque autant que Kanye West (Barack Obama est le seul homme politique qui fait mieux, avec 70 millions de followers). L’inclination du Premier ministre indien pour la photo à bout de bras fait l’objet de débats jusqu’au Parlement, où un représentant de l’opposition s’est étranglé : “Il n’y a rien de répréhensible à faire des selfies avec les chefs d’État, mais le Premier ministre devrait songer à en faire aussi avec les agriculteurs en détresse.” Il faudra toutefois éviter que ces derniers aient une arme à la main main au moment où le petit oiseau sortira.
Le président François Hollande (un maigre million et demi d’abonnés sur Twitter) est nettement à moins à l’aise dans l’art du selfie. Il en fait rarement et quand il apparaît sur l’un d’eux, il donne toujours l’impression de s’être incrusté dans la séance de pose. Son sourire semble sortir d’une boîte de Meccano, et ses compagnons de selfie ne sont pas toujours tendres : le plus célèbre de ces clichés, fait en Suisse, le montre avec un type qui fait un doigt d’honneur. Quand ça veut pas… Marine Le Pen, elle, pratique le selfie avec plus de circonspection, veillant à n’apparaître qu’avec des jeunes et des représentants des minorités. Et si l’élection présidentielle française de 2017 se jouait sur quelques selfies ? L’électeur ne croit plus aux promesses, ne lit plus les programmes, a abandonné l’espoir d’un avenir meilleur, mais il aime bien les images quand elles sont drôles.
Édouard Launet
Sciences du fait divers
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