“États-Unis : une fillette de 8 ans abattue par un garçon de 11 ans.”
C’est peut-être une nouvelle forme de record, car en ajoutant l’âge de la victime à celle du tireur, on ne dépasse pas dix-neuf. Évidemment c’est un drame atroce, et nul n’a envie d’en sourire. Mais la prolifération des armes à feu aux États-Unis permet des carnages si spectaculaires et si absurdes qu’on en vient à se demander quand se produira une fusillade dans une école primaire, sinon dans une crèche.
Il ne s’agissait même pas ici d’un accident. La fillette jouait dehors lorsque son jeune voisin lui a demandé de voir son chiot. Elle a refusé, il a sorti une arme et tiré. Ça se passe comme ça dans le Tennessee. Enfin, pas tous les jours heureusement. Chez nous, à Marseille, on attend généralement l’âge de la puberté avant d’arroser le voisinage à la kalachnikov pour marquer son territoire de deal. Car la France a une préférence pour les armes lourdes, lesquelles nous arrivent de guerres civiles quasi voisines sans passer la douane et servent plus souvent aux règlements de compte qu’à décimer les campus. La vieille Europe n’est-elle pas le berceau de la civilisation ?
Aux États-Unis, où le marché des armes à feu est souple, sont recensés chaque année entre 11.000 et 12.000 meurtres au revolver ou au fusil. Mais les flingues servent plus encore à se suicider : environ 20.000 morts ! C’est là une fusillade de masse qui fait moins de bruit que l’autre, mais deux fois plus de victimes. Plus de la moitié des suicides aux États-Unis se font en effet à l’arme à feu, et cette proportion monte à près de 70% chez les personnes âgées, selon une étude publiée dans l’American Journal of Public Health. Il est vrai qu’au moment de quitter ce monde cruel, le désespéré américain dispose d’un large choix de calibres : il lui suffit d’ouvrir un tiroir et de trier un peu. Nous disposons pour le Texas de chiffres très précis : 78 % des suicidaires à l’arme à feu se terminent au revolver, le reste de l’échantillon optant pour le fusil de chasse ou d’assaut. Avec un revolver, on se tire généralement la balle dans la tempe droite (question de latéralité) tandis qu’avec un fusil on se la tire dans la bouche, car il faut avoir le bras long pour se foutre une balle de fusil dans la tempe. Enfin 4 % des gens qui se mettent une balle de revolver dans la tête choisissent de se la loger dans le cou ou la nuque : il faut, pour en finir ainsi, avoir l’épaule souple.
Récemment, des policiers de Philadelphie ont reçu un appel leur signalant qu’un homme en fauteuil roulant tentait de se suicider avec un revolver. Arrivés sur les lieux, les flics ont demandé au handicapé de lâcher son arme. Ce dernier a refusé, ils l’ont abattu. Les policiers craignaient, ont-ils dit, que le type se mette à tirer dans tous les sens. Il se trouve que cet homme avait perdu l’usage de ses jambes à l’âge de 18 ans à la suite… d’une fusillade.
Le cinéma américain a placé les armes à feu au centre de la mythologie du pays, tout en faisant beaucoup pour dédramatiser leur usage. Dans Le Retour de l’inspecteur Harry, Clint Eastwood se retrouve dangereusement seul face à des malfrats lourdement armés, et pourtant il les prévient : “Nous ne vous laisserons pas sortir d’ici, les gars”. Qui ça, “nous”? rigolent les autres. Clint répond : “Smith and Wesson and me”, soit une des répliques les plus célèbres du cinéma US. Puis il tire dans le tas, évidemment.
Mais tout est bien qui finit bien : chez Eastwood, la somme des âges du tireur et des cadavres est rarement de moins de cent ans.
Édouard Launet
Sciences du fait divers
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