“Footbologies” : les mythes et les représentations propres à un championnat de football analysés journée après journée de Ligue 1.
Le Toulouse Football Club ne finit pas bien ses matchs. Trente-trois points perdus après avoir mené au score cette saison : aucune équipe n’a fait pire. Problème d’endurance, problème de confiance ? Le TFC ne tient pas la distance et pourtant, le club s’est fixé un défi : bien finir la saison pour se maintenir, contre toute logique.
Pour le PSG, le championnat est terminé depuis longtemps. Pour le TFC, il ne fait que commencer. Un championnat en forme de compte à rebours, chaque journée de plus ressemble à une journée de moins en Ligue 1. Les statistiques sont contraires : 98% de chances de descendre. Et pourtant, le TFC y croit. Pourquoi ?
Le départ de Dominique Arribagé, le légendaire “choc psychologique”, l’arrivée d’un Pascal Dupraz autoproclamé “Monsieur Maintien” depuis celui d’Evian-Thonon-Gaillard en 2014, et les bons résultats (trois victoires en cinq matchs) n’expliquent pas tout. “Tant qu’un match n’est pas fini, tout peut arriver”, “un match dure quatre-vingt-dix minutes”, “tant que c’est mathématiquement possible, il faut y croire”, répètent à longueur de saison joueurs et entraîneurs, car le football est une pratique de l’espoir. Pour une raison empirique, d’abord : sport où le hasard tient une plus grande part qu’ailleurs, le football est plus difficilement prévisible, et l’expérience de tant de retournements de situation improbables, à la dernière minute, rend tout le monde méfiant. Méfiant et superstitieux : des résultats tellement illogiques doivent pourtant suivre une logique, inaccessible au simple mortel ; de si cruels coups du sort doivent trouver leur justification dans quelque erreur ou quelque péché ; et il faut qu’il existe une volonté supérieure à laquelle s’en remettre pour expliquer qu’une équipe meilleure, mieux préparée, qui a dominé tout le match et qui menait à la dernière minute, finisse par perdre inexplicablement. C’est là qu’entre en jeu la foi du footballeur, qui est un lointain cousin du charbonnier.
Puisque tout peut arriver, il faut croire. À qui ? À quoi ? Personne ne sait. Au destin, au hasard, aux Dieux du football. Au cas où, parce qu’on ne comprend pas les forces contraires qui s’acharnent ; parce que la puissance, la vitesse, la technique, la tactique ne suffisent pas ; parce que quelque chose d’immatériel entre en ligne de compte, la psychologie, la magie, ou peut-être la volonté. “Il suffit de le vouloir”,“c’est à nous de… ”, “on en voulait plus qu’eux” : cet imperceptible petit quelque chose en plus, c’est la volonté, la ferme conviction qu’en y croyant plus que l’adversaire, les Dieux récompenseront la foi.
“Crois en toi” : ce pourrait être un principe de philosophie new age, une méthode Coué footballistique, mais il y a autre chose. Pour le supporteur, le football est une religion, le club est un dieu et le stade son église. Voilà pourquoi certains fans demandent à y être enterrés, sous un coin du terrain, ou leurs cendres dispersées sur la pelouse. Terre sainte, consacrée, comme un cimetière d’église. Et si le club est un dieu, ne pas croire qu’il va se sauver, c’est jouer les Saint-Thomas. Honte aux apostats ! Le miracle se produira, aucun doute n’est permis : un sauveur viendra (Wissam Ben Yedder sera-t-il celui-là ?), annoncé par Dupraz le prophète savoyard, dans son sermon de la montagne. Il faut avoir la foi ! Croire, c’est croire jusqu’au bout, ne pas baisser les bras, en fidèles croyants qui savent que le salut viendra parce qu’on n’a pas cédé au doute, qu’on a marché vers la fin en chantant des cantiques, comme les anciens Vikings croyaient déjà mériter le Walhalla parce qu’ils mourraient les armes à la main.
Et ça marche : depuis quelques semaines, le TFC se transcende, l’état de grâce est là, le match de samedi contre l’Olympique Lyonnais a été l’un des plus beaux de toute la saison, spectaculaire, technique, à suspense, les joueurs ont tout donné. Mais à la fin, le TFC a perdu. Encore, à la dernière minute, après avoir mené. Les faits sont têtus, c’est justement pourquoi on a inventé la foi. La saison prochaine, le Walhalla pourrait bien avoir des airs d’Auxerre ou de Sochaux, en Ligue 2…
Sébastien Rutés
Footbologies
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