Pour tourner la page d’une fin d’année particulièrement morose, égayons-nous sur délibéré avec un morceau d’humour islandais…
Le gars, il est en Islande pour une semaine. C’est la première fois, un vrai touriste ce type ! Alors, même si ça coûte une blinde, il loue une bagnole pour découvrir le pays. Une Toyota Yaris évidemment, c’est la moins chère qu’on peut trouver. On ne voit qu’elles sur les routes en été, des Toyota Yaris à gyrovaguer par milliers en emportant des flots ininterrompus de touristes venus des quatre coins du monde : des Français et des Mexicains ; des Japonais ou des Sud-Africains. Ils sont si nombreux dans leurs petites autos que les Islandais ont fini par les surnommer « Yaris People », et par raconter pas mal d’histoires à leur propos, et jamais pour les mettre en valeur évidemment… Bref, notre gars, il est au volant de sa Yaris, il file sur les routes du Cercle d’Or, tout droit vers l’aventure boréale balisée par les consignes de son GPS. Mais sur une impulsion, peut-être une montée d’adrénaline après deux accords électriques de Sigur Rós qui tourne en boucle sur sa playlist, il sort de l’axe de circulation principal pour s’égarer dans la pampa subarctique, totalement sourd aux alertes de son navigateur. C’est qu’il veut se prouver qu’il n’est pas comme tous ces moutons qu’il voit arrêtés à longueur de kilomètres sur le bas côté des routes prenant des photos du paysage – montagnes, fjords, fermes abandonnées, glaciers ou volcans tordus –, qu’il n’est donc pas l’un de ces idiots du voyage, comme disait l’autre.
Après quelques minutes, la route N°1 est déjà loin et il ne croise plus personne. Autour de lui, la nature a bien changé : il bruine, les nuages sont bas, et, des montagnes, il n’en voit plus que les pieds. Ça craint… Oubliés les désirs nietzschéens du touriste libre, maître à la fois de son destin et de son chemin. Le doute trouvant peu à peu la voie jusqu’à sa conscience, notre gars se demande s’il n’a pas été trop présomptueux, s’il sera à l’heure pour récupérer son foutu Airbnb à Hveragerði, et s’il pourra acheter sa pizza Grandiosa surgelée avec sa bière sans alcool à la prochaine station service. C’est alors que sa Yaris, comme les choses, commence à mal tourner : des soubresauts d’abord, la ventilation qui ne fonctionne plus et la buée qui s’accumule sur les vitres ensuite, des bruits étranges provenant du moteur enfin, et puis plus rien. D’un seul coup, la voiture cale au beau milieu de la route. Les Huldufólks se marrent…
Le gars, il sort alors de la Yaris, soulève le capot et, même s’il n’y connaît rien, se penche sur le moteur en secouant la tête de droite à gauche, histoire de se donner une contenance en racontant une histoire à la situation. Il est là à soupirer, la tête au-dessus du filtre à air et les mains appuyées sur le rebord de la carrosserie, quand il entend une voix grave dans son dos qui lui dit : « C’est le carburateur, il est mort ! » Il se retourne précipitamment et tombe nez à nez – pour ainsi dire – avec un cheval islandais, un Equus cabalus à la robe grise et à l’air pénétrant. Toutes dents déployées comme s’il se marrait, le canasson reprend : « Comme je vous le disais à l’instant, c’est le carbu, il est mort ».
Alors le gars, il s’effraie, il panique. Un animal qui parle ! Et un mécano par-dessus le marché ! Le gars, aussitôt, il prend ses jambes à son cou. Il part en courant droit devant lui, sans demander son reste, ni se retourner pour vérifier si le cheval est toujours là, s’il ne trotte pas derrière lui, et s’il n’a pas rêvé. Il court comme un dératé, perdant haleine, il traverse des prés, des terrains en friche, contourne des champs de lave, traverse des gués, s’enfonce dans la mousse, manque de se tordre la cheville dans les « thufurs », ces espèces de buttes gazonnées formées par le gel. Il court sans savoir où il va, ayant perdu la notion du temps et sans plus rien reconnaître autour de lui. Après avoir dévalé une petite colline, il s’arrête enfin pour reprendre son souffle et aperçoit près de là une ferme aux murs recouverts de tôles aux couleurs bariolées à force d’avoir été peintes et repeintes partiellement, années après années.
Reprenant courage, le gars s’avance vers l’entrée. Il tambourine sur la porte et, sans attendre, franchit le seuil pour pénétrer dans le logis. Un petit-vieux est là, dans le salon, à le dévisager en silence depuis son rocking-chair et son pull islandais élimé. Notre gars se présente et raconte au fermier impassible sa mésaventure. L’histoire terminée, le vieux lui demande alors : « De quelle couleur il était ce cheval ? » Étonné par la question, le gars répond : « Gris, il était gris ! » ; « Ah ! dit alors le fermier, faut pas faire attention à ce qu’il raconte, celui-là, il n’y connaît rien aux bagnoles ».
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